« L’événement 68 », à l’origine de notre monde

Une historienne du temps présent ?

On se veut ici provocateur, tant l’expression est attachée à la figure controversée d’Henry Rousso. Reste qu’Emmanuelle Loyer, professeur à sciences Po, semble à première vue se rattacher à cette approche. Spécialisée dans l’histoire culturelle, on lui doit une biographie de Claude Lévi-Strauss (Flammarion, 2015). Ici elle s’attache à raconter et expliquer mai 68, après bien d’autres, comme Jean-François Sirinelli par exemple dans Mai 68, l’évènement Janus (Fayard, 2008).

 

Une démarche intéressante

Emmanuelle Loyer s’attache à redonner la parole à mai 68, à ses acteurs et à ses mots. Car ce moment constitua d’abord et avant tout, pour le pire et le meilleur, l’occasion d’un jaillissement de slogans, de discours de la part d’étudiants se disant bâillonnés par le régime gaulliste. Ils maitrisaient pour autant l’art de la rhétorique tout autant que l’agit-prop. Emmanuelle Loyer excelle à redonner vie aux mots de 68, à ses caricatures aussi (ah Cabu !). Il est vrai qu’on a parfois l’impression de pénétrer dans un autre monde, où garçons et filles étaient séparés sur les campus.

Derrière la vulgate marxiste et révolutionnaire, on devine chez les petits frères des étudiants de gauche pro-indépendance de l’Algérie (quelques années, rappelons-le, séparent les deux évènements) une formidable envie d’être libres, de vivre comme ils le veulent. On est là clairement devant une révolution culturelle dont nous sommes tous les enfants.

 

Quelle interprétation ?

Il est bien sur difficile de donner une seule interprétation à un évènement aussi protéiforme que mai 68. La révolution politique échoua et de Gaulle, grâce à un coup de com’ comme on dirait aujourd’hui dans notre monde libéral (il faudrait mieux parler de coup de génie), après avoir échoué lamentablement avec sa proposition de référendum, réussit par son discours du 30 mai à ramener le calme et à susciter une grande manifestation sur les champs Élysées qui clôt la séquence « révolutionnaire »… et c’est un leurre. Car la génération des soixante-huitards va monter en puissance (je renvoie au livre de Sirinelli, Génération sans pareille, paru chez Tallandier), s’emparer des postes importants et va remporter petit à petit la bataille culturelle en permettant entre autres la prise de parole de minorités jusque là ignorés (femmes, immigrés, minorités linguistiques régionales).

Mais à quel prix ? Cela, Emmanuelle Loyer en parle peu et c’est dommage. Peut-être aussi excédons-nous les limites d’un ouvrage souvent passionnant.

 

 

Sylvain Bonnet

Emmanuelle Loyer, L’Evénement 68, Flammarion, « champs », mars 2018, 416 pages, 11 euros

Laisser un commentaire