Georges Fourest, Vingt-deux épigrammes plaisantes

Un curiosa remarquable

Georges Fourest ne fut pas que l’auteur de la Négresse blonde ou du Géranium ovipare, mais aussi d’un opuscule délicieusement érotique que les éditions du Lérot viennent de mettre à notre disposition.

 

Vous n’aimez pas la censure, lisez Fourest

Coup double pour Yannick Beaubatie qui, avec une préface riche, nous offre les deux opus qui manquaient à toute bibliothèque d’honnête homme, avec ce rare et délicieux ensemble des Douze épigrammes plaisantes, suivies des Dix épigrammes nouvelles non moins gaillardes que les précédentes… Il reste juste à savoir si nous avons plus quelques textes d’inspiration rabelaisienne ou des érotiques, imités de l’antique sur le même modèle que ceux de Pierre Louÿs… Je dois dire qu’une première lecture, un peu rapide pourrait faire penser à une sorte d’appendice romain plus viril aux Chansons de Bilitis… Le lecteur mieux informé de l’œuvre de Pierre Louÿs y retrouvera cet impératif de conseil dans la luxure qui abonde dans le Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation, qui parut en 1919, puis posthume en 1926… et dont nous retrouvons le style chez Fourest dans le Au lecteur :

 

Lecteur, permets que je t’adresse / un avis : quand tu me liras, / près de toi garde ta maîtresse, / ou ta main la remplacera

 

Mais la très informée préface au texte nous indique bien qu’à cette même date, la première série d’épigrammes était déjà prête à l’édition, édition qui ne verra le jour qu’en 1920… Et puisque nous en sommes à la Préface, en s’appuyant sur une riche documentation, aussi bien livresque que d’archives, on y trouve un tableau dressé du poète en provocateur contre l’idéal bourgeois. En retraçant les difficultés que les auteurs rencontrent avec la censure contre la sexualité, on y rencontre le portrait d’un adolescent puis d’un homme qui préféra lutter contre l’hypocrisie par une parole libre que de s’appliquer une auto censure. En cela, hier peut éclairer heureusement aujourd’hui… et c’est en cela aussi que ces quelques vers que certains dénigreraient facilement trouvent un intérêt particulier.

Quelques lignes quand même sur cette image du poète qui semble ne pas ressembler à l’image que les photographies donnent de lui. Ceux qui connaissent la vie de Georges Fourest et qui peuvent rencontrer son image de brave homme rondouillard, chez qui nul ne verrait un poète luxurieux, y comprendront mieux que l’homme et l’écrivain peuvent habiter le même corps. Le poète qui vit de ses rentes peut y vivre une riche sexualité sous des aspects bonhommes… ce qui laisse entendre le désert de l’amour que peut être la vie d’autres auteurs… la vitalité sexuelle ne fait pas l’écrivain ni l’inverse…

 

Une lignée de penseurs libres…

En relisant cette poignées de poèmes, j’ai cru y retrouver la superbe veine provocante que nous trouvons chez Albert Glatigny, dans les Joyeusetés galantes du Vidame Bonaventure de la Braguette, publiées à Luxuriopolis, A l’enseigne du beau triorchis, qui datent de 1866… tout comme dans la Sultane Rozréa, ballade traduite de Lord Byron par Exupère Pinemol. Elève du Petit Séminaire de la Fère-en-Tardenois (Aisne)… On sent chez ces auteurs le goût de provoquer la colère du bourgeois, non dans le fait que ce « bourgeois » soit ingénu en ce qui concerne le sexe, bien au contraire, l’usage des maisons closes en témoigne largement, mais dans l’acte de dire et d’imprimer ces réalités sur le papier… ce qui entraîne une colère de la « bonne société » qui se doit de condamner cet auteur… Ainsi, les auteurs qui ont eu l’audace de parler de la « chose » avec une totale liberté de propos ont été mis à l’écart dans l’Enfer des bibliothèques… Il n’est que de voir encore le traitement que certains adoptent vis à vis des poèmes censurés des Fleurs du Mal; on évoque cette censure, on en donne les raisons mais… tout comme les textes de Verlaine ou de Rimbaud, le critique littéraire semble plus pudique que le premier séminariste venu! Et la dense préface peut nourrir intelligemment notre réflexion sur ce sujet : jusqu’où la censure doit elle aller, et surtout, plus subtil, jusqu’où la critique de la censure peut elle se risquer ?

Et de nos jours, la même hypocrisie sanctionne des auteurs ou contraint les autres à une autocensure… Voilà ce sur quoi nous permettent de réfléchir ces quelques textes délicieusement provocateurs et sur le contenu qu’ils donnent de la sexualité masculine, comme dans ces premiers vers dont je vous laisserai lire la suite dans le poème qui clôt cet ouvrage :

 

Sors de mon lit, ma femme, ou satisfait mes goûts ! / Tu ne grouilles non plus qu’un terme ou qu’une morte :/ les éphèbes troyens se branlaient à la porte / quand l’épouse d’Hector chevauchait son époux.

 

On remarquera en passant quelques procédés de modernité poétique… bref encore une raison d’aller à la découverte de ces poëmes!

Un grand merci aux éditions du Lérot de nous offrir un des rares curiosa, comme on nomme pudiquement ces recueils érotiques, qui restaient encore difficile d’accès, ne serait-ce que financièrement… et de nous les servir dans un bel écrin comme à leur habitude, beau papier et livre à couper à l’ancienne.

 

Stéphane Le Couëdic

 

Georges Fourest, Vingt-deux épigrammes plaisantes / imitées de M.V. Martial, chevalier romain, édition établie et présentée par Yannick Beaubatie, Du Lérot, 2017, 20 euros

Laisser un commentaire