Yves Bonnefoy, la poésie inachevée
Le poète Yves Bonnefoy (1923-2016) est l’auteur d’une œuvre considérable, dont quelques essais publiés à la fin de sa vie, qui sont une réflexion élaborée sur son travail poétique, ainsi que l’inachèvement de la poésie. Faisant suite à deux précédents ouvrages, Entretiens sur la poésie (1972-1990) et L’Inachevable, Entretiens sur la poésie (1990-2010), ce nouveau volume réunie treize entretiens des dernières années et un essai, Ut pictura poesis.
Poète, essayiste, critique, traducteur, Yves Bonnefoy nous livre ici, une réflexion post-mortem sur son propre travail poétique, et sur d’autres critiques réservées à ses textes. Poète de la présence, critique du concept, on trouve dans ces divers entretiens sur l’habitation poétique de la terre, pour reprendre l’expression de Hölderlin, une réflexion sur les grands aspects de l’exister humain, à travers la prise de conscience de notre finitude, « du temps qui passe », de « l’irrémédiable du temps », qui laisse toujours une sorte de goût de l’inachèvement.
Pourquoi la poésie ?
Que ce soit l’usage des mots, les condensations du souvenir, les suggestions de la mémoire, le dialogue, la musique, l’acte poétique qui nous fait prendre conscience du lieu à être et qui n’est autre que la terre, l’ici et maintenant, l’immédiateté du sensible, l’écriture de l’inconscient, le récit en rêve.
L’objet de ces nouveaux entretiens est le même que les précédents : s’interroger sur les raisons profondes de sa poétique, tâcher de se resaisir d’une démarche qui s’élèverait au-delà de la nécessité purement poétique afin d’établir la vérité par la rencontre d’autrui et du monde.
La lucidité de l’auteur, ses béances textuelles, fruits d’un entretien incessant avec lui-même ou les autres, la preuve est faite avec ce dernier recueil, dans lequel Yves Bonnefoy tenait « à écrire — ou réécrire — ses réponses aux questions qui lui étaient posées ». Sûrement pour y réfléchir, afin d’approfondir sa pensée. Sûrement aussi, parce que « la conversation était un contexte dans lequel ce sont les idées qui prévalent, dans leurs relations à d’autres, dans ce qu’elles ont de généralisant ».
Poète, philosophie, Yves Bonnefoy réfléchit à tout ce qui est « irréel » et peut s’écrouler en un instant, avec pour sentiment « que tout ce que nous avions au sein de notre langue et de nos paroles n’est qu’une chimère dont il ne reste dans cet instant plus rien : l’expérience du non-être. »
Marc Alpozzo
Yves Bonnefoy, L’Inachevé, Entretiens sur la poésie 2003-2016, Albin Michel, mars 2021, 320 pages, 22,90 eur