Ailleurs, Gérard Depardieu écrivain
Gérard Depardieu est en passe de devenir l’acteur français à avoir écrit le plus de livres (hors fiction). Depuis qu’il a commis Lettres volées, en 1988, on ne l’arrête plus. Et son rythme s’intensifie : Ça s’est fait comme ça (2014), Innocent (2015), Monstre (2017) et voici son Ailleurs. La cadence infernale, la machine à mots tournant à plein régime. Faut dire que Gérard a beaucoup vu, beaucoup vécu et pas mal réfléchi. Et ce sont les fruits de ses réflexions qu’il nous livre à brut, comme disposés sur l’étal d’un marché. Des fruits bien mûrs, parfois juteux, souvent exotiques.
Depardieu, en toutes lettres
Depardieu écrivain ? Philosophie ? Gourou ? Grand sage ?… Peu importe. S’il est bien un acteur qui se contrefiche des étiquettes c’est lui. Il dit ce qu’il pense et le couche sur le papier pour mieux se faire entendre !
Hélas, n’espérons pas qu’il nous raconte un jour par le menu sa vie, sa carrière, ses face à face. Il le clame haut et fort :
Le jour où je voudrais écrire mes mémoires, il faudra me mettre en gériatrie. Penser à changer mes couches.
Il ne vit pas dans le passé mais dans le présent et, un peu, dans le futur.
Au contact des hommes
Dans un livre précédent, il expliquait combien il déteste le monde vu du ciel. Il préfère marcher dans la boue du terrain, à la rencontre des autochtones de tout poil. Un besoin viscéral de contacts humains. Besoin de parler, de toucher, de sentir. Pas une coïncidence s’il dispose d’un blase volumineux.
Son principe est d’aller voir ce qui se passe ailleurs (d’où le titre !). Ne pas rester enfermé ni dans son cocon ni dans ses convictions. Découvrir d’autres mondes, d’autres recoins de notre vaste planète. Aborder des gens qui vivent et non des êtres qui subissent. Se débarrasser du superflu pour toucher à l’essentiel. Ainsi rapporte-t-il quelques brèves anecdotes sur ses voyages en Afrique, Amérique, Europe, Asie… Bref, il ne lui manque plus qu’à rencontrer des Martiens, ce qu’il ne saurait tarder à faire.
Curieux de tout
À chaque étape, il nous fait part de ses émotions.
Il faut bouger ! Ne jamais cesser d’être curieux. De tous, de tout. « Ce qui caractérise l’homme c’est sa curiosité », écrit-il.
Soit. On a du mal à le prendre en faute car tout ce qu’il affirme repose sur ses observations. Néanmoins tout n’est pas aussi facile qu’il a l’air de l’écrire. Il faut des moyens (et du courage) pour aller ailleurs. Bavarder avec les Touaregs ou les Jivaros, trinquer avec les Pygmées et les Inuits n’est pas à la portée de tout le monde. De plus, ces peuplades accueilleront un ou deux Occidentaux avec plaisir et curiosité mais n’ont aucune envie de voir débarquer tous les lecteurs de M. Depardieu !
Donc Ailleurs n’est pas à prendre au pied de la lettre. Comme une fable de La Fontaine ou un texte de Bouddha, il faut en saisir l’essence. Pour ouvrir ses sens. Car tel est bien le message : l’ouverture d’esprit, l’ouverture aux autres. Notre nombril ne tourne plus rond depuis des lustres ; il est temps de passer à autre chose.
Retour aux sources
On peut reprocher à Gérard Depardieu sa façon d’impliquer le lecteur, ne cessant de le tutoyer pour mieux l’amadouer. Mais c’est son caractère. Il tutoie tout le monde, tout le temps. En revanche, on ne peut pas lui reprocher sa démarche. Son livre n’est pas un cri du cœur mais un constat. Gérard sait que le salut passera par l’individu, non par les machines ni les soi-disant têtes pensantes. Revenons aux racines, aux sources, à l’essentiel.
Tout cela est écrit avec la légèreté d’un homme qui a beaucoup lu. Des phrases courtes, des idées claires, des exemples précis. Qu’on y adhère ou pas, Depardieu est déjà ailleurs, parti dans les pages suivantes. Rien n’arrête ce bulldozer de la découverte.
Depardieu convainc sans peine par sa clairvoyance. Mais dis-nous, Gégé, c’est vrai que tu ne veux pas écrire tes mémoires ? Tu ne veux pas nous raconter tous tes films ? Et nous dire pourquoi autant d’œuvres marquantes côtoient le navrant ? Allez, Gégé, un petit effort…
Philippe Durant
Gérard Depardieu, Ailleurs, Le cherche-midi, octobre 2020, 214 pages, 19 eur