La vérité sur l’affaire Robert Boulin : la thèse du suicide

Gilles Leclair publie un livre polémique, La Vérité sur l’affaire Robert Boulin. En sa qualité d’ancien commissaire de police impliqué dans les deux enquêtes, il a une vision certes privilégiée, mais aussi biaisée. Et puis, en matière de vérité, il faut toujours être prudent, ce qui n’est pas le cas ici.

Une position de principe : c’est un suicide

Nous avons pu lire, voir et entendre des thèses farfelues, impossibles, extravagantes, être témoin de la mauvaise foi, de la manipulation de l’opinion. Nous avons constaté une nouvelle fois la malhonnêteté et la subjectivité de certains journalistes avides de scoop. Pour tenir la une, mieux vaut une bonne affaire d’Etat qu’une banale histoire de suicide.

Gilles Leclerc fait fi de toutes les enquêtes des journalistes et des témoignages qui ne lui conviennent pas (par exemple ceux des deux pompiers ayant sorti le corps de Robert Boulin de l’eau, qu’il efface d’un revers de manche…) pour imposer sa vérité : c’est un suicide. Il est assez fermé sur ce point, et tout ce qui a pu aller contre cette thèse est rejeté. Certes, il est très prudent dans ses propos envers la famille Boulin, mais il laisse quand même entendre que leurs démarches sont superflues : car la police a fait son travail ! Circulez, il n’y a rien à voir. Les poumons qui auraient pu être analysés et dans lesquels on aurait pu retrouver, ou pas, des traces d’eau, confirmant ou non la noyade, ont disparu : est-ce si important qu’on essaie d’empêcher l’enquête plusieurs années après ? Le corps autopsié sans l’accord de la famille ? Les intervenants au domicile du Ministre et dont le comportement est pour le moins douteux ?

Quant à ce qu’il ignore, comme le fait que des hommes du SAC, force d’action militante proche de Charles Pasqua et donc de Jacques Chirac, soient venu le matin même à son bureau en mairie de Libourne et à sa permanence de député pour prendre tous les dossiers, raison pour laquelle la ville n’a aujourd’hui quasiment aucune archives… N’est-ce pas d’une nature suffisamment suspecte pour étayer la thèse de l’assassinat politique plutôt que de classer le dossier

Défendre l’honneur de la police

Alors qu’on ne lui avait rien demandé — et d’ailleurs il s’en plaint —, Gilles Leclair s’estime en légitimité de reprendre cette affaire historique et de proposer sa vérité. Car il ne s’agit pas de la vérité absolue, les zones d’ombres sont encore majeures. En effet, il explique à plusieurs reprises que les ecchymoses sur le visage du ministres sont bénignes et amplifiées par une reproduction photographique du noir et blanc vers la couleur, il en fait presque le centre de son exposé tant il accumule de témoignages de personnes qui disent ne pas avoir remarqué… Il parle même de « petites lésions » : « Les petites lésions constatées au niveau du visage du ministre sont des lésions banales qui ont pu être provoquées par une chute antérieure à la mort. ». Mais pour quelle raison des pièces majeures comme les poumons ont disparues ?

La vérité sur l’affaire Robert Boulin est noyé dans un fatras de considérations sur l’époque moderne (ah, avant on pouvait rouler vite sans être embêté par des bobos en trottinette !), qui pourraient plaire par ailleurs mais sentent surtout l’éloge de la police d’avant, disons la sienne. Car il s’agit avant tout de défendre le travail de la police, la manière dont les enquêtes irréprochables ont été menées par des hommes tous eux-mêmes irréprochables. Bref…

Bref, il n’y a vraiment rien de bien convaincant pour ceux qui connaissent déjà cette histoire et ses zones d’ombre. Beaucoup moins que dans l’enquête de Benoît Colombat, un homme à abattre, qui reste la référence, ou dans celle de Fabienne Boulin-Burgeat, le Dormeur du val, qui reprend l’ensemble des points litigieux. Peut-être Gilles Leclair souffre-t-il d’un excès de confiance, d’un déficit d’entrain dans sa manière d’écrire et de présenter « sa » vérité. Ou alors d’un trop grand attachement à ses anciennes fonctions pour s’extraire et regarder les éléments troublants de cette affaire en face. En tout cas, il ne convainc pas.

Loïc Di Stefano

Gilles Leclair, La Vérité sur l’affaire Robert Boulin, Alibi, mars 2022, 169 pages, 17 euros

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