Benjamin Constant, un des pères du libéralisme
Une énigme
Au fond qui était Benjamin Constant ? On se pose cette question car l’homme a eu plusieurs vies enchâssées les unes aux autres. On connait le penseur libéral, l’homme politique présent au tribunat sous le consulat puis député sous la Restauration sans compter sa collaboration avec Napoléon lors des Cent-jours ; l’écrivain enfin qui, avec Adolphe, devint le parrain du romantisme naissant. Léonard Burnand, professeur d’histoire à l’université de Lausanne, est un fin connaisseur de l’œuvre de Constant. Il a par exemple publié en collaboration avec Stéphanie Genand et Catriona Seth Germaine de Staël et Benjamin Constant, l’esprit de liberté (Perrin, 2017). Il nous donne ici sa biographie de l’amant de Germaine.
Des secrets familiaux
Et si un homme était réductible à ses secrets de famille ? Évidemment que non mais le cas de Constant est passionnant. Voici un homme qui perd sa mère pratiquement à la naissance. Des études approfondis de sa correspondance montre une femme dont le caractère, et encore plus la sensibilité, annoncent la personnalité de son fils. Il dut en tout cas, comme tout orphelin, affronter le manque de sa mère.
Quant au père, mercenaire et militaire, vaudois et descendant de huguenot, il choisit de vivre avec une femme et de lui faire deux enfants et n’en avertira son fils légitime qu’à l’orée de ses trente ans : cela augure des relations bien tendues au moment de l’héritage. Enfin, Benjamin Constant est vraisemblablement le père d’Albertine de Staël, fruit de ses amours tumultueux avec la fille de Necker. Secret de polichinelle dont la future femme de Victor de Broglie eut honte…
Un libéral dans la tempête de l’évènement
Léonard Burnand nous peint Constant comme un penseur important du libéralisme, ce qu’il fut, même si la génération de Guizot se méfiait de lui. Car Constant, admirateur de la Révolution et aussi contempteur de ses excès, est aussi dans l’action politique. Au côté de Germaine de Staël, il s’implique dans la vie politique de la France du Directoire, fréquente Barras, Siéyès et Talleyrand, écrit des brochures défendant le gouvernement représentatif. En 1799, il est probablement au courant des préparatifs du coup d’état de Brumaire. Il pressent cependant que Bonaparte va s’emparer de tous les pouvoirs. Nommé au tribunat, cette chambre qui discute les lois sans les voter, il se fait remarquer par sa verve et ses convictions : il sera donc chassé en 1802 de cette chambre. Constant suit Germaine de Staël dans son exil à Coppet, lit, écrit, discute. C’est un semi-opposant qui attend son heure. En 1814, il se félicite de la Restauration et se montre un opposant au retour de Napoléon en 1815… Ce qui ne l’empêche pas de rédiger pour lui une nouvelle constitution, d’essence libérale. Girouette ? En tout cas fidèle à ses idées selon le biographe.
La deuxième Restauration le verra batailler ferme pour la liberté de la presse, un vrai régime parlementaire, la responsabilité des ministères devant la Chambre sans compter la fin de la traite des noirs. Il devient ici une icône romantique avec la parution d’Adolphe. Dès son plus jeune âge, Constant voulait marquer son temps, il y a réussi et cette biographie de Léonard Burnand le démontre.
Sylvain Bonnet
Léonard Burnand, Benjamin Constant, Perrin, mars 2022, 380 pages, 23 eur