Autodafés, l’Art de détruire les livres

Michel Onfray se coltine au réel, à ce qui est et ce qui a lieu. Certains, pourtant ceux qui sont les mieux équipés intellectuellement pour l’accueillir, sont le plus souvent soumis à une idéologie qui les rend aveugles, stupides, et donne raison à Orwell : « Il est des idées d’une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent y croire. » Comment comprendre cette maladive perte de lucidité ? Et comment comprendre les motivations d’une telle perte volontaire ? C’est ce qu’interroge Michel Onfray dans le court et passionnant travail de lecture et d’intelligence qu’est Autodafés.

la charge

La première partie d’Autodafés est une charge contre le fascisme d’extrême gauche, cette maladie mentale qui empêche ceux qui en sont atteint de voir le réel tel qu’il est. Il y a ceci, non, le parti ne le signale pas, donc il n’y a pas ceci. L’idéologie veut contraindre et plier le réel plutôt que d’émaner de lui. Il y a une organisation du monde pensé contre le réel et ceux qui regardent le réel, comprennent, et font des signalements sont voués aux gémonies.

Qui plus est « Le gauchiste culturel fonctionne de manière incestueuse. » L’argent du contribuable sert à financer des journaux (propriété de milliardaires…) qui font l’opinion publique licite bien qu’ils ne soient pas lus, et dont les éléments de langage sont repris en boucle par tous les maillons de la chaîne prescriptive idéologique. (1)

Tout est mis en place pour que les lanceurs d’alerte ne puissent pas faire connaître leur message. Et Onfray n’évoque pas de menus faits, mais des génocides, des théories folles qui ont détruit des sociétés, des civilisations, causé des millions de morts…

Pour prendre un seul exemple. Le communisme a fait des millions de morts, mais l’idéologie des lendemains qui chantent est supérieure, et « tout anticommuniste est un chien » (Sartre), ce qui règle définitivement la question. Le réel (les millions de morts, les camps de concentrations, les travaux forcés, le règne de la terreur par la famine et l’irrationnel, etc.) est nié au profit d’un futur rendu supérieur par l’idéologie, sans certitude qu’il advienne (l’histoire a montré qu’il n’est pas advenu). L’homme réel doit être modifié au profit de l’homme idéal, forcément nouveau (ici le nazisme et le wokisme sont d’accord) et les ennemis doivent être punis, non pas parce qu’ils combattent l’idéologie mais par ce qu’ils sont ce qu’ils sont (ceci est du fasciste). Le bon sens n’a plus aucune prise sur ces esprits malades…

Les pièces du dossier

Autodafés propose un exercice pratique : regarder comment des livres essentiels pour établir la vérité ont été torpillés afin d’éviter que leurs véritables messages ne soient délivrés.

Pour étayer sa démonstration, Michel Onfray développe le cas de ces livres particuliers qui ont osé s’attaquer aux idoles de leur temps. Il reprend l’histoire de la réception des ouvrages suivants :

Les Habits neufs du président Mao, de Simon Leys (1971), éminent sinologue qui met en cause la monstruosité du régime chinois, et sa duperie. On lui reprochera de ne rien connaître à la Chine ou à l’esprit de Mai-68, de ne pas adhérer à la beauté de l’idéal communiste et de se focaliser sur les quelques (20 millions) morts…

L’Archipel du Goulag, d’Alexandre Soljenistyne (1973), lui non plus n’y connait rien en communisme et invente des faits, alors qu’il a été lui-même prisonnier de l’enfer soviétique… Mais pourquoi exiger par son récit un Nuremberg du Marxisme-Léninisme ?

Voyage au centre du malaise français, de Paul Yonnet (1993), attaque la mittérandie et ses émanations comme SOS Racisme, montrant qu’il y a une politique d’immigration à bas bruit dans un but capitalistique. Mais bien sûr, il n’y comprend rien, lui qui n’est qu’un épigone du Front National…

Le Choc des Civilisations, de Samuel Huntington (1996), vient contrecarrer l’idéologie admise par les tenants du pouvoir idéologique, et résumé dans les thèses de Fukuyama. Mais Huntington parle des civilisations comme des hommes, qui s’affrontent, vivent, se déplacent, évoluent… et on en fait une machine à mettre en opposition l’Occident et les musulmans, nouvelle catégorie victimaire à défendre avant tout.

Le Livre noir de la psychanalyse, ouvrage collectif (2005) met à mal tout ce qui fonde le freudisme, devenu une manière de secte à l’influence énorme dans le fonctionnement de la Justice même, et qui est enseigné encore en classe de philosophie alors que rien ne prouve son efficience.

Aristote au Mont Saint Michel, de Sylvain Gouguenheim (2008), essai brillant qui montre les racines grecques de l’Europe chrétienne, en mettant le Mont Saint Michel au centre d’un vaste mouvement culturel et civilisationnel et en réduisant la portée de l’Islam. Bien sûr, les mêmes qui ont défendu la révolution menée par l’Ayatollah Khomeini, cette gauche bien-pensante dont Laurent Joffrin est l’héritier et Libération son vase d’aisance, l’attaqueront avec autant de virulence que d’arguments purement idéologiques.

Une machine à broyer les esprits sains

Le fonctionnement de la dénégation est toujours le même, et se déploie selon plusieurs « argumentations ». Nier, toujours nier, et si ce n’est pas possible, minimiser (oui, des morts, voire des millions de morts, mais pour des lendemains qui chantent…) ou attaquer le porteur du messages (ses idées sont justes mais quelles sont ses intentions ? Et n’est-il pas d’extrême droite, voire antisémite ?). Et il y a aussi le mépris, de classe, de rang, de géographie (du germanopratin pour le provincial), ou de style (Barthes méprisa Soljenitsine parce qu’il écrivait mal…). Autant de posture qui nie à autrui la capacité de s’exprimer, quand bien même le contenu ne serait pas examiné.

On a donc la trilogie : nier (ce que vous dîtes est faux), amoindrir la portée des informations (ce que vous prétendez n’est qu’un biais d’une histoire plus grande), attaquer le porteur du message (vous n’êtes pas diplômé, vous ne comprenez pas les enjeux, vous n’avez pas les clés pour comprendre, voire : vous êtes lié à l’extrême droite). Car, comme il s’agit de posture, pourquoi lire ces folies idéologiques ? Il suffit, et quelques grandes figures de l’intelligentsia germanopratine y ont plaisamment participé, de la condamner. Onfray cite les articles injustes et orientés, et les auteurs qui sont pris en flagrant-délit de mauvaise foi, parmi lesquels : Jean-Luc Mélenchon, Edward Said, Philippe Sollers, BHL, Luc Ferry, Roland Barthes… Que d’idoles qui tombent d’un coup.

Petit livre salutaire, auquel il manque bien sûr le chapitre consacré à Michel Onfray lui-même (sur Freud, Sartre, etc.), Autodafés éclaire a manière dont les puissants veulent empêcher le réel de se manifester. C’est une attaque en règle contre les tenants de la pensée d’extrême-gauche qui commande le monde et nie le réel. Ou bien qui nie le réel à des fins autre que l’avènement de l’intelligence… Mais c’est surtout, et ô combien nécessaire, un exercice de dessillement et de lucidité. Un bréviaire, indispensable, pour notre temps.

Loïc Di Stefano

Michel Onfray, Autodafés, L’Art de détruire les livres, J’ai lu, juin 2023, 160 pages, 7,60 euros

(1) On retrouve cette dénonciation dans le Contre Hanouna de Juan Branco.

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