Une certaine idée de l’Europe, « dis, papa, c’est quoi l’Europe ? »

Une belle équipe

Ce volume rassemble quatre conférences organisées par la revue Le grand continent à l’école normale supérieure à Paris. La première est de Patrick Boucheron qui a accédé à la notoriété avec une très controversée histoire mondiale de la France parue chez Seuil, qui excluait systématiquement les évènements de la chronologie traditionnelle au profit d’une autre structure disons plus iconoclaste. Antonio Negri est un philosophe et politiste italien tandis que Thomas Piketty est un économiste renommé : Le capital au XXIe siècle a imposé son auteur jusqu’en Chine. Myriam Revault d’Allonnes est une philosophe, professeur émérite à Panthéon Sorbonne qui s’est fait remarquer par un ouvrage sur Merleau-Ponty (Michalon, 2001) et Elisabeth Roudinesco est l’auteur de biographies et d’ouvrages sur Freud et Lacan, ce qui lui a valu de belles passes d’armes avec l’inusable Michel Onfray. Les voici donc réunis pour donner leur idée de l’Europe.

L’Europe idéale

Disons-le d’emblée : cet ouvrage est plein d’une fougue que le polémiste Eric Zemmour qualifierait d’ « européiste ». Pourquoi pas d’ailleurs, c’est digne de respect et cela n’exclut pas l’esprit critique. Patrick Boucheron livre un texte partial mais passionnant où il y livre des réflexions sur le XVe siècle pertinentes, agrémentées de jugements sur un nécessaire dépaysement de l’histoire du continent (je ne comprends pas ce qu’il veut dire car cela a déjà été pratiqué). Antonio Negri est plus critique, soulignant avec raison l’impact négatif d’une union européenne qui s’est identifié avec des politiques d’austérité aux accents punitifs (c’est ça le sentiment européen ?). En bon économiste, Thomas Piketty dresse un tableau comparatif des inégalités et a raison de souligner qu’elles sont moindres ici qu’ailleurs, en grande partie grâce un modèle social qui s’est imposé après la seconde guerre mondiale (y compris en Grande-Bretagne, intéressant à rappeler au moment du Brexit) et qui est aujourd’hui remis en question par l’UE. Myriam Revault d’Allonnes brocarde le néolibéralisme (comme Negri et Piketty) tout en vantant l’idée d’Europe culturelle en invoquant Stefan Zweig. Et Elisabeth Roudinesco intitule sa contribution « un bonheur tragique » : tout est résumé.

Et après ?

Toutes ces contributions sont intéressantes à lire. Elles ont le mérite de souligner notre appartenance à une civilisation commune. Et après ? L’UE au jour où j’écris est un monstre technocratique qui entretient avec les idées de démocratie et de suffrage universel des relations conflictuelles et complexes, au point que les aspects où l’Europe apporte des solutions concrètes sont ignorées de l’opinion publique. Encore une fois il ne s’agit pas de nier l’identité européenne (elle existe, allez aux Etats-Unis pour en prendre conscience) qui se surajoute aux idées nationales. Mais, et le critique devient citoyen, il faut des réformes profondes de l’UE qui au fond ne peut être qu’une fédération d’Etats-Nations. Seule la France ne s’en sortirait pas mais il faut sortir du dogme néolibéral (comme il fallait sortir du dogme communiste). Au boulot les citoyens !

Sylvain Bonnet

Patrick Boucheron & Antonio Negri & Thomas Piketty & Myriam Revault d’Allonnes & Elisabeth Roudinesco, Une certaine idée de l’Europe, Flammarion, « Champ actuel », mai 2019, 165 pages, 8 eur

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