Le bal des cendres par Gilles Paris
Gilles Paris, dont on connait le talent pour regarder le monde à hauteur d’enfant, propose avec Le Bal des cendres un grand roman polyphonique construit comme un Agatha Christie (Dix petits nègres, par exemple) et sur un terrain explosif. Doublement, car ce sont les corps et les coeurs qui sont exposés.
Un petit Paradis…
C’est un bel été. Les familles se réunissent pour les vacances à l’hôtel Strongyle, sur l’île volcanique de Stromboli. Ce nom qui rebondit et tonne ! Gilles Paris donne la parole à chacun des personnages, qu’ils soient l’hôtelier français et sa fille Giulia ou les estivants, plutôt huppés et divers. Une parole qui permet, en reconstruisant un univers d’apparence idyllique, de dévoiler les failles qui exsudent comme la vapeur âcre et dangereuse du volcan. Gilles Paris anime comme personne cette humanité faite de non-dits, de sourires discrets et de pulsions retenues. Il sait qu’en chacun se cache le pire, mais qu’il faut un choc pour que les masques tombent.
L’île et ses habitants sont liés, comme par un sortilège. D’abord envoutant, il devient peu à peu terrifiant. La chaleur, d’abord accueillante, finit par étouffer. Et les récits des uns et des autres de légers deviennent soudain assez lourds. Car comme la lave au coeur du volcan qui se cache, les petits secrets finissent par remonter. Et quand le Stromboli se réveille, c’est avec lui toutes les petites fractures des âmes qui s’exposent, tous les secrets qui, mis au jour, font du petit paradis un véritable enfer.
Maestria polyphonique
Gilles Paris excelle quand il s’agit de laisser à son lecteur le soin d’imaginer. Dans Le Bal des cendres, l’expérience de l’éruption volcanique ne sera pas décrite par un éventuel narrateur, c’est chaque personnage qui va raconter les conséquences, les effets, les blessures que cela aura engendré. Mais ce qui naît surtout à ce moment-là, ce sont les vérités. Celles que les paroles ne peuvent plus taire et qui se révèlent en actes. Car l’hôtel est devenu un lieu où tout le monde se méfie de tout le monde, dans un huis-clos qui écrase petit à petit chacun des personnages. La multiplicité des points de vue narratifs offre au lecteur, aussi, une expérience d’immersion, dans la tête et le ressenti de chacun, mais aussi dans la surprise quand les petits secrets et les avanies de chaque vie finiront par se dévoiler.
Les personnages vont se parler les uns aux autres, les uns des autres, et alors que les cendres devraient recouvrir tout, elles dévoilent ! La perte des repères libère chacun et lui offre l’opportunité de dire sa vérité.
Mettant chacun de ses personnages face à cette monstruosité qu’est un volcan qui implose, Gilles Paris montre, dans un roman tellement vivant et à l’écriture magnifique, la lutte contre un adversaire surdimensionné, c’est-à-dire le volcan, et soi-même. Car c’est dans la manière d’affronter qu’on révèle son humanité.
Le Bal des cendres est un merveilleux roman.
Loïc Di Stefano
Gilles Paris, Le Bal des cendres, Plon, avril 2022, 289 pages, 19 euros