Jean d’O et Jean-Marie Rouart, une amitié intellectuelle

Il sera difficile à l’avenir de parler de ce Dictionnaire amoureux de Jean d’Ormesson, sans parler de son auteur, Jean-Marie Rouart, qui n’est pas seulement un lecteur passionné de l’écrivain et académicien, disparu en 2017, mais aussi un ami cher, proche, et fidèle. Et comme dans toute amitié, il y a des orages, des brouilles, et des réconciliations. Mais laissons cela. Cet ouvrage que vous pourrez trouver aux éditions Plon, dans la collection « L’abeille », est une ode à l’homme, à l’écrivain, à l’académicien, c’est l’histoire d’un dialogue ininterrompu, c’est l’histoire d’une amitié de cinquante ans, d’une intoxication volontaire et mutuelle, celle d’une admiration réciproque, et rien dans ce dictionnaire ne peut faire démentir cet état de fait. Certes, comme on envie Jean-Marie Rouart, lui-même académicien, auteur de nombreux romans et biographies, homme raffiné, délicieux, érudit, au moins autant que Jean d’Ormesson, dont il s’est fait le biographe et l’exégète dans ce volume clair, complet et passionnant.

Jean d’Ormesson aura presque régné durant 70 ans sur la vie littéraire et médiatique de la France. Qui n’a jamais vu ni entendu Jean d’Ormesson à la télé ou la radio, qui n’a jamais lu au moins un de ses ouvrages ? Depuis, son premier roman, L’amour est un plaisir, publié en 1956 aux éditions Julliard, et qui raconte le récit de « trois jeunes hommes et une jeune fille » qui « s’élancent en cabriolet sur les routes de Provence, en juillet », Jean d’O sera devenu un écrivain à force de travail et de persévérance. Il y aura eu l’amour qu’il portait à la littérature, qui aura rapproché l’auteur de ce dictionnaire et l’auteur d’Au plaisir de Dieu, mais aussi « la hauteur d’un esprit qui ignorait la bassesse et refusait de pactiser avec les vilenies de la vie ».

Je l’ai déjà dit, comment ne pas envier Jean-Marie Rouart, lorsqu’on lit ce Dictionnaire amoureux de Jean d’Ormesson ? Comment ne pas envier cette chance dans la vie de croiser sur sa route une personnalité aussi exceptionnelle que celle de Jean d’O ? Jean-Marie Rouart écrira d’ailleurs à propos de son ami :

« Par son caractère, son tempérament, il avait sous la surface chaleureuse une réserve propre à la classe aristocratique parcimonieuse de ses effusions. Et une indifférence certaine sous la chatoyance des manières et un abord qui faisait illusion. »

De l’Académie à l’ambition, en passant par l’amitié, parmi lesquels Jean d’O comptait Philippe Baer, Roger Caillois, Michel Mohrt, François Nourissier, Pierre Nora, Jacques Julliard, des bains de mer au bonheur auquel il était très attaché, Chateaubriand auquel il a consacré plusieurs ouvrages, la conversation qu’il menait avec grande intelligence, et toujours une « bonne humeur », du désir à l’épée, de l’éternité au Figaro, de Giscard à Mitterrand, de Normale sup à la philosophie, de Sarkozy à Sureau, de Simone Veil à Marguerite Yourcenar, bref, un dictionnaire qui balaye une vie entière, littéraire, intellectuelle, d’engagements et de voyages, d’une vie si remplie qu’on a peine à penser que Jean d’Ormesson rêvait jeune d’écrire et de pas agir, Jean-Marie Rouart termine ce magnifique hommage à un ami désormais disparu, et pourtant présent, éternellement présent, par une note sur Zénon d’Élée, un fin résumé de ce que cet homme pouvait être, et qui prouve combien il manquera aux lettres françaises et à la vie intellectuelle de ce pays :

« C’est un philosophe qui nie la réalité du mouvement. Donc le contraire de Jean, qui aime le mouvement dans ses jours et dans son œuvre, car ce mouvement est la vie même. En revanche, Jean l’introduit dans le dictionnaire des personnages d’Au plaisir de Dieu : « Zénon d’Élée : philosophe de l’immobilité. Ami de la famille. »

Dans un monde assez fou pour valoriser le mouvement permanent, loin de la rumeur qui court, des lumières et des discours, Jean d’O restera toujours au plus près de nous. Ce dictionnaire nous le prouve.

Au revoir là-haut, cher Jean !

Marc Alpozzo

Jean-Marie Rouart, Dictionnaire amoureux de Jean d’Ormesson, Plon « L’abeille », septembre 2022, 464 pages, 13 euros

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