Corinne Luchaire, Un colibri dans la tempête de Carole Wrona

On n’en finira jamais d’analyser, d’étudier, de décortiquer les effets (et les méfaits) de l’Occupation sur le cinéma français. Et ce à tous les niveaux : de la qualité des films au sort des techniciens, des relations entre les professionnels et les nazis aux fuites éperdues. Dans ce microcosme qui n’a cessé de bouillonner quatre années durant, se situent les actrices. Un cas un peu à part. Mais passionnant. On pourrait reprendre la liste de toutes les comédiennes de l’époque et suivre leurs parcours. Certaines sont parties à Hollywood, d’autres à Londres, d’autres encore se sont terrées. La plupart ont tenté de poursuivre leur métier dans des conditions parfois difficiles et certaines ont un peu trop sympathisé avec les officiers teutons. Le plus étonnant est que, au moment de la Libération (et surtout de l’épuration), toutes n’ont pas été logées à la même enseigne. Danielle Darrieux n’a jamais été vraiment inquiétée alors que d’autres ont été longuement interrogées voire condamnées. Enfin, dans cette cour de femmes et jeunes femmes se trouvent des adeptes de la collaboration allongée, autrement dit celles qui ont couché avec des Allemands. Crime impardonnable aux yeux de certains.

Dans un livre récemment paru, j’ai raconté le cas de Mireille Balin, star déchue qui paya très cher sa liaison avec un officier allemand. Une déchéance totale… D’autres aussi ont ouvert leurs lits à de beaux militaires (on pense à Arletty). Dont Corinne Luchaire. Qui a poussé le « vice » non seulement à coucher mais aussi à avoir un enfant (une fille) d’un fier Teuton. Pourtant, elle fut plus inquiétée pour son comportement festif pendant toute l’Occupation que pour cette « faute ».

Le cas Luchaire reste différent de la plupart des autres. D’abord parce que Corinne fut une star éphémère. Aujourd’hui on se souvient surtout d’elle pour sa performance dans Prison sans barreau. Mais déjà, lors de son court périple, elle parvint jamais à se retrouver dans des films vraiment marquants. Il est vrai que confier sa carrière au cinéaste Léonide Moguy n’est pas fait pour vous mettre durablement sur orbite.

Différent aussi car Corinne est la fille de Jean. Oui, Jean Luchaire, le patron de presse ultra collaborateur qui fut fusillé quand les vert-de-gris retournèrent chez eux. Sans Jean et son immense influence y aurait-il eu une Corinne en tête d’affiche ? On est en droit d’en douter. Jean qui lui ouvrit son carnet de relations et l’entraîna dans les soirées les plus huppées.

Le destin de Corinne Luchaire méritait donc un livre. Non sa soi-disant autobiographie, rédigée par un comparse mais un ouvrage solide, construit et documenté. Carole Wrona s’en est chargée. En 2008, elle proposa un premier ouvrage. En 2011, elle construisit une première édition de Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête. En 2022, elle reprend son texte pour une édition « revue et augmentée ».

L’ensemble traite à la fois de Corinne et de Jean car ils sont indissociables. Pourtant, en dépit de la qualité des recherches, on a du mal à comprendre leurs relations réelles. Et, surtout, l’influence du père sur la carrière de sa fille.

On a tout autant de mal à cerner la véritable personnalité de Corinne. Un colibri ? Peut-être. Mais un colibri qui aimait la grande vie et se parer des plumes de paon. Pendant que la France souffrait et que les Français crevaient de faim, elle se pavanait dans les meilleurs restaurants, les plus grandes fêtes et sa luxueuse voiture souffrait rarement des restrictions.

Insouciante ou inconsciente ?

Ne s’est-elle vraiment jamais rendu compte de l’état de la France pendant toutes ces années ? Considérait-elle vraiment les Allemands comme des gens de bonne compagnie et non comme des « envahisseurs » ? Avec le recul du temps, il est impossible de répondre à ses questions et à beaucoup d’autres. Juger l’Occupation avec notre regard et notre connaissance du 21ème siècle est forcément trompeur. Et c’est d’ailleurs là tout l’intérêt du livre : chaque lecteur se forgera sa propre idée. Car, qu’on le veuille ou non, en suivant son parcours, en lisant ses frasques et ses réflexions, l’on devient juge. Et quand, on referme l’ouvrage on prononce sa sentence, parfois avec des circonstances atténuantes.

L’auteure Carole Wrona a du mal à cacher ses sentiments. Surtout dans le dernier chapitre qui tranche un peu avec la sobriété du reste du livre. Pour elle, Corinne n’était rien de plus qu’un colibri, frêle oiseau bousculé au gré des vents contraires. Mais un colibri malade car elle avait les poumons fragiles.

Ce livre apparait comme une brique supplémentaire – aussi solide qu’indispensable – dans la construction du mur de la compréhension (ou de l’incompréhension ?) de la vie en France sous l’Occupation. Corinne Luchaire a laissé une trace. Moins par ses films que par son propre cheminement. Une trace qu’a remontée Carole Wrona avec une attention rare.

Petite question pour terminer : qu’est devenue Brigitte, la fille de Corinne Luchaire ?

Philippe Durant

Carole Wrona, Corinne Luchaire, un colibri dans la tempête, préface de Pierre Barillet, Éditions du 81, 257 pages, juin 2022, 20,90 €

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