Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan, l’absolu féminin de Gilles Paris
Apparue du néant pour subjuguer tous les cinéphiles dès son premier film, et tous les hommes d’un regard, Belle Kaplan est un mystère. Elle a tout fait pour effacer son passé, mais ce qu’elle dévoile d’elle-même dans le très beau roman de Gilles Paris est comme une quête de sa propre vérité.
« J’aurais donné ma vie pour découvrir mes origines, et puisque cela m’était refusé, autant multiplier mes existences »
Personne ne sait qui elle est en dehors de l’écran où elle interprète magnifiquement des femmes inoubliables. Ni son agent ni son attachée de presse n’en savent plus que la presse à scandale qui la traque. Aucun téléphone, pas de réseaux sociaux. Elle a tout fait pour ne pas exister. Le lecteur apprend assez vite qu’il y a un passé qui la hante, au Quebec, où elle serait persona non gratta, un crime ou une vie par trop dissolue ?
Le roman s’articule sur plusieurs lignes (arcs narratifs, dit-on), et toujours Belle en est la narratrice, pour que le lecteur progresse avec elle, dans son intimité, ses choix et ses doutes aussi.
Première ligne. Il y a le quotidien de Belle, tout ce qu’elle met en place pour éviter d’exister en dehors de l’écran. Cela permet à Gilles paris de glisser de très sèches critiques sur le milieu du cinéma et d’égratigner aussi le sien, celui des attachés de presse… Personne n’a la confiance de Belle, dont la devise est « La règle d’or est d’ignorer l’avis d’autrui, quel qu’il soit. » Un l’avait, mais il a disparu.
Deuxième ligne. Elle recherche, via un détective, son frère disparu, compagnon d’infortune au temps de l’orphelinat. Avec lui, elle était vraie, c’est pour ainsi dire le seul homme de sa vie, si l’on excepte celui qui hantera toutes ses relations amoureuses et auquel elle doit une large part de sa déchéance. Mais son frère, au combien important, a le même rapport de souffrance au monde, et au lieu de se cacher derrière le costume de la froide icône inabordable, il fuit. Il fuit sa sœur, ses amours, sa propre vie. Mais Belle sait qu’elle ne pourra jamais être elle-même de nouveau si elle ne le retrouve pas, comme l’âme sœur qui donnerait sens à sa vie.
Troisième ligne. Au moment d’atteindre son rêve d’actrice, être reconnue à Hollywood, elle reçoit des lettres anonymes qui signalent avec évidence qu’on connait la vérité sur elle. Dès lors, tout ce qu’elle a construit, tout ce qu’elle a sacrifié pour devenir cette star reconnue, risque de s’effondrer, et de rendre nulle toutes les contraintes qu’elle se donne à elle-même pour protéger sa vie.
Portrait de femme
Belle Kaplan est un personnage très parisien : mystérieux, orphelin, en quête de sa vérité propre et au-dessus du lot, différent. Elle porte la vie comme une épreuve à surmonter. Sa volonté est, aussi, partie prenante de sa beauté.
Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan est un très beau roman, qui sous couvert de la froideur travaillée du personnage principal est une très profonde étude sur une femme meurtrie. La révélation finale, qui donne le sens à toutes les vies passées, ouvre sur la possibilité d’une existence enfin apaisée. Et c’est tout l’art de Gilles Paris de savoir conduire son lecteur vers un peu de lumière après avoir tissé le portrait d’une femme qui cache sa détresse et sa fragilité derrière une attitude froide, calculatrice, quasiment arrogante. Il y a du Audrey Hepburn, comme le signale la couverture, la femme sublime entre toutes, mais Belle n’a pas — ou cache — cette petite espièglerie qui rendait la star américaine presque accessible. Car Belle doit être d’autant plus inaccessible et idolâtrée qu’elle a souffert, qu’elle cache de souffrance.
Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan est le roman poignant d’une femme devenue forte contre la vie même. Une femme qui cache, à travers l’énigme de l’image qu’elle donne et tout le monde cherche à percer, l’enfant qui n’a jamais quitté l’orphelinat. Un grand coup de cœur.
Loïc Di Stefano
Gilles Paris, Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan, Plon, septembre 2023, 214 pages, 19,90 euros