La Disparition d’Adèle Bedeau, où tout est vrai sans que rien ne soit exact
Avant L’Accusé du Ross-Shire pour lequel il a fini finaliste du Man Booker Prize en 2016, Graeme Macrae Burnet a obtenu le New Writers Awards en 2013 pour son premier roman, La Disparition d’Adèle Bedeau. C’est l’histoire d’un village
Un village de carte postale…
La Disparition d’Adèle Bedeau nous propulse au sein d’un petit village en Alsace, Saint Louis, que les années n’ébranlent pas, où tout semble figé façon carte postale en noir et blanc. On y découvre une place, seul élément vivant du village, avec le Restaurant de la Cloche, lieu incontournable où la nourriture y est à peine comestible et le patron particulièrement taciturne, mais où les habitués se retrouvent chaque jour pour leurs rituels respectifs, que ce soit la lecture, le repas, où les jeux de cartes.
Seule l’épouse du patron met un point d’honneur à accueillir dignement les clients, et entamer quelque banal échange sur la météo ou le programme du jour. Le couple est secondé par une jeune serveuse d’environ 19 ans, Adèle, jolie mais sans plus, nonchalante, peu encline au bavardage mais néanmoins courtoise et compétente.
Entre en scène Manfred Baumann, un homme de 36 ans, de père suisse et de mère française, banal, au comportement asocial limite paranoïaque, grand adepte des habitudes immuables afin de passer inaperçu. Enfant du pays, il a passé la majeure partie de sa vie à Saint Louis, et a été recueilli par ses grands-parents à la mort de ses parents. Il a commencé comme employé de banque et est parvenu à gravir les échelons jusqu’à la direction de l’agence de Saint Louis.
Aucune relation amoureuse ne lui est connue, et les rumeurs vont bon train sur ses préférences sexuelles, jusqu’au jour improbable où il se permet d’adresser un compliment maladroit sur la tenue de la jeune serveuse, à laquelle il ne s’était jamais contenté que de passer commande. Ses seuls contacts intimes avec des femmes se font au rythme de ses réguliers trajets vers Strasbourg afin d’y obtenir des rencontres tarifées avec des professionnelles du sexe.
Seulement quelques jours plus tard, Adèle disparaît subitement sans raison apparente. Le policier chargé de l’enquête, Georges Gorski, revient en tant qu’inspecteur à Saint Louis, de nombreuses années après y avoir débuté sa carrière. En effet, chaperonné par un ancien flic en fin de carrière plus porté sur la bouteille que sur ses affaires, il avait enquêté sur une affaire sordide de meurtre d’une jeune fille dont la conclusion par l’arrestation et l’incarcération d’un SDF ne l’avait jamais satisfait.
Depuis cette affaire dont il était intimement convaincu que le meurtrier courait toujours, il se rendait régulièrement sur les lieux du crime afin d’y réfléchir et dans l’espoir s’amenuisant au fil des années de retrouver un indice qui lui aurait échappé.
Rapidement, les soupçons de l’enquêteur se portent sur Baumann, sans pour autant pouvoir fournir de preuve tangible de sa culpabilité. Des détails troublants mettent en exergue des mensonges de Baumann, et le policier ne peut s’empêcher de repenser à ce meurtre rapidement bâclé des années auparavant.
Gorski et Baumann se livrent à un jeu du chat et de la souris, tous deux rattrapés par des évènements du passé. Les évidences ne semblent plus si vraisemblables, et l’on s’attend à chaque moment que la vérité le plus évidente éclate.
De l’exquise lenteur
Un peu déroutée par la préface inventée de toutes pièces par l’auteur, je comprends rapidement que ce dernier va prendre un malin plaisir à brouiller les pistes et jouer sur notre rapidité à tirer des conclusions hâtives.
La mise en place du contexte de ce village hors du temps est longue, elle nous berce, nous lasse parfois, mais est nécessaire au cheminement de l’histoire. On met du temps à comprendre le passé des protagonistes, leur intuitions, leurs pensées extravagantes, paranoïaques, leurs doutes. Mais tous ces paradoxes les rendent particulièrement humains, on s’y attache, on s’y reconnaît, ou pas du tout!
Le rythme est lent, sombre, l’obscurité est omniprésente, mais le style est terriblement efficace, la fin est tout simplement aussi surprenante que cruelle.
Souvenez-vous, il ne faut pas se fier aux apparences…..
Minarii Le Fichant
Graeme Macrae Burnet, La Disparition d’Adèle Bedeau, traduit de l’anglais (Ecosse) par Julie Sibony, 10/18, août 2019, 7,80 eur