Judéobsessions, un monde sens-dessus dessous
Guillaume Erner, sociologue, animateur des Matins de France-Culture, se sent devenir juif comme jamais. C’est à cause, dit-il, des Judéobsessions qui font rage en ce moment, depuis le renversement historique où c’est le RN qui protège les juifs (ce qui réjouit un Serge Klarsfeld !) et où la gauche de la gauche, la LFI, flirterait avec l’antisémitisme. À la droite de la droite, il n’y a qu’un juif pour défendre le régime antisémite de Vichy : c’est Éric Zemmour. C’est dire comme nous allons cul par-dessus tête, vraiment ! Quel renversement des valeurs !
Où sont passées les Lumières françaises qui émancipèrent les juifs ? Où est passé la gauche communiste qui luttait pour l’égalité ?

Du côté Shoah, « Auschwitz est devenu un véritable parc d’attraction ». Ce qui fascine dans cette histoire passée, c’est son côté « terror porn », dit Erner, il nous procurerait des frissons plutôt pervers… Le devoir de mémoire serait donc défiguré, naufragé…
Aujourd’hui, si « le Juif » est haï, c’est qu’il est devenu le nanti, le supérieur, il est évidemment un sioniste extrémiste. Et il est placé du côté du manche. La preuve : notre bon président soutient que l’antisionisme est un antisémitisme, il reçoit le grand rabbin de France à l’Élysée pour Hanoukka, il l’aide à allumer sa bougie rituelle ! Il ne trahirait jamais ainsi la laïcité républicaine pour un imam, et pas même pour un évêque, c’est dire !
D’où la réflexion de Erner : « Malheureusement pour eux, les Juifs n’ont pas que des ennemis, ils ont aussi des amis »
Comment en est-on arrivé là ?
La partie la plus intéressante du livre, selon moi, est l’histoire juive selon Guillaume Erner que je résume ici à grands traits. Il l’a étudiée pour sa thèse de sociologie intitulée les « modèles explicatifs de l’antisémitisme ». Dès l’antiquité le peuple juif se distingue : il abandonne les Elohim pour Jahvé l’unique, il devient monothéiste parmi des peuples polythéistes, ce qui l’isole. Quand Rome devient chrétienne, les juifs connaissent un sort contradictoire : comme ancêtres de Jésus, ils doivent exister…mais pas trop. « Ils ne sauraient revendiquer autre chose que le rôle d’antiquaire », écrit Erner. C’est le temps de la judéophobie.
En Europe, ils auraient vécu depuis longtemps, parfaitement intégrés. Leur diaspora aurait commencé dès le VIème siècle avant Jésus. À partir du XIIème siècle la tolérance n’aurait plus été de mise. L’église catholique durcit ses dogmes, une société de persécution s’instaure. Selon Chivasso, un théologien : « être juif est un délit, mais non punissable, contrairement à l’hérésie ». Voici venu le temps de l’antijudaïsme. Les bons rois européens en profitent pour jouer à l’expulsion-réintégration des juifs, non sans capter leurs richesses au passage.
Cette Histoire nous démontre donc, si on ne le savait déjà, qu’il n’y a rien de mieux que les religions pour mettre en guerre les humains les uns contre les autres.
Une blague juive qui tourne mal
Après 1789, grâce à la perte de pouvoir de l’église catholique et l’apparition du capitalisme libéral, le sort des juifs européens connaît une révolution. Leur longue histoire les a conduits à devenir financiers : il fut un temps où ils étaient les seuls à pouvoir faire commerce de l’argent puisque c’était interdit aux chrétiens. Ils doivent être souples, vite adaptables pour réagir aux persécutions : ils ont été amenés à se spécialiser dans des métiers intellectuels, commerciaux, ou de service. Par exemple : la médecine est un bon métier, car on peut l’exercer dans le monde entier… Les juifs se trouvent donc dotés d’avantages concurrentiels dans ce nouveau monde. « En France, écrit Erner, ils peuplent la Bourse, les journaux, les salons et les universités ». En Europe fleurissent Marx, Freud, Einstein ; en France Durkheim, Proust, ou Citroën. Ce que l’on a appelé « le génie juif » serait donc le fruit de l’histoire d’une persécution ! On croirait entendre une blague juive…
Tout était mis en place pour que, succédant à la tradition de la judéophobie puis de l’antijudaïsme, un antisémitisme moderne trouve de nouveaux arguments… Voguant sur les théories racistes jusqu’au génocide, jusqu’au 7 octobre et Gaza…
« La haine du Juif remplace l’opium du peuple. »
Ne reniant pas sa famille communiste, Erner a cette formule. C’est que, dit-il, la judéophobie est devenue une religion sans dieu, elle organise le monde et désigne même une espérance. Il ajoute :
« La croisade antijuive donne sens au monde ».
Tel serait le miracle du post-antisionisme d’aujourd’hui, le nôtre…
Mathias Lair
Guillaume Erner, Judéobsessions, Flammarion, janvier 2025, 304 pages, 20 euros