Guillaume Meurice, la pensée et le stagnant

Pierre Daninos est un écrivain humoriste un peu oublié aujourd’hui – seuls ses Carnets du major Thompson doivent encore dire quelque chose aux lecteurs d’un certain âge —, mais certaines de ses formules n’ont rien perdu de leur charme et de leur pertinence. On saluera en particulier celle-ci : « Il n’est pas aussi bête qu’il en a l’air. Il l’est plus. » D’où vient ici le comique ? Objectivement, les deux propositions sont parfaitement compatibles — la négation de l’égalité doit pouvoir a priori indiquer, au choix, infériorité ou supériorité —, mais le langage n’est pas là uniquement pour prendre des photographies figées. Il inclut toujours un mouvement dès lors qu’il prétend exprimer véritablement une idée, puisqu’une idée implique une mise en relation de deux choses différentes, une progression, et en l’occurrence le mouvement n’est pas celui qu’on attendait. On pensait qu’il n’avait pas encore atteint un certain stade de bêtise ; on découvre qu’en fait, il l’avait dépassé. La phrase débouche, non sur une progression, mais sur une régression.

Est-ce Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, qui a oublié cet aspect des choses, ou est-ce la journaliste qui a mal retranscrit ses propos dans une interview publiée il y a quelques jours dans les pages saumon du Figaro ? Peu importe, la faute est là. Répondant donc à ceux qui accusent France Inter d’être une radio gauchiste, elle déclare : « Pour ne pas le citer, Guillaume Meurice, qui a des opinions politiques qui lui appartiennent, est beaucoup associé à France Inter. Pourtant, son temps d’antenne cumulé est seulement d’une dizaine de minutes par semaine. C’est moins que Natacha Polony, et presque autant que certains débatteurs comme Thibault de Montbrial, Pascal Bruckner ou Pierre-Henri Tavoillot, quand ils interviennent sur l’antenne, et qui ne sont pas connus pour leur gauchisme revendiqué. »

Résumons : admettons que Guillaume Meurice fasse partie des voix gauchistes de France Inter ; il ne cause dans le poste que dix minutes par semaine. C’est moins que Natacha Polony — citée sans doute ici comme image de la neutralité ne faisant l’objet d’aucune protestation — et presque autant que certains intervenants classés à droite. Mais que veut dire ce presque autant ? On a beau tourner ce développement dans tous les sens, le mouvement général de la pensée implique que Mme Van Reeth voulait dire : « et pas plus que — un peu moins, même, que certains débatteurs de droite ». Mais, d’une certaine manière, tout en donnant une définition objective exacte de la situation, elle a dit exactement le contraire de ce qu’elle voulait dire.

Nous ne nous attarderions pas tant sur cet exemple s’il ne rejoignait le très mauvais usage qui est fait de plus en plus du verbe hésiter. On trouve de plus en plus souvent des formules du genre : « Il hésita à ouvrir le pot de confiture » pour dire qu’il avait envie d’ouvrir le pot de confiture, alors que son hésitation marque qu’il avait peut-être envie de le faire, mais d’abord et surtout qu’un scrupule l’a, sinon empêché de passer à l’acte, du moins empêché de passer à l’acte tout de suite. Que le pot ait été ou non finalement ouvert, peu importe. Il s’agit de savoir si l’acte s’accompagnait d’un élan ou d’un frein. Et l’hésitation — mot de la même famille qu’adhésif¸ et donc en opposition avec l’idée de décoller — ne saurait être qu’un frein.

(Dernier exemple de l’emploi impropre d’hésiter. Accroche d’un e-article sur le récent livre de la belle-fille du Président : « Tiphaine Auzière a longtemps hésité à publier sous pseudonyme. » Cette phrase se justifierait si, finalement, elle avait publié sous pseudonyme. Mais comme elle ne l’a pas fait, il eût fallu écrire : « Tiphaine Auzière a longtemps songé à publier sous pseudonyme. »)

Les gens qui ont lu un peu de Bergson auront compris que l’on confond la mesure de la durée et la durée elle-même. Le même Bergson dit bien que l’intelligence ne peut pas ne pas fixer l’objet auquel elle s’applique, mais qu’elle doit être complétée par l’intuition.

FAL

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