Nadine Mouque, le delirium tremens d’un banlieusard

Un des ténors du roman noir français

On peut dire qu’Hervé Prudon marqua le paysage du polar français. Il a publié son premier roman, Mardi gris dès 1978 et bénéficia des éloges de Jean-Patrick Manchette. Puis il y eut Tarzan malade en 1979 et Banquise en 1981. Et le silence. En proie à des difficultés personnelles, Prudon travailla pour des journaux comme Libération ou Le Nouvel Observateur, ainsi que comme  nègre, expérience qu’il raconta dans Plume de nègre (Mazarine, 1987). La publication de Nadine Mouque en 1995 à la série noire lui permit de se relancer et de mener de front une carrière de romancier dans le polar et dans la littérature jeunesse. Prudon décéda en octobre 2017. Les éditions Gallimard, pour la relance de la collection « La noire » créée autrefois par Patrick Raynal, ont choisi ici de rééditer Nadine Mouque.

La banlieue comme vous ne l’imaginez pas !

Paul est un quadra alcoolique et divorcé qui vit chez sa mère dans un appartement de la cité des Blattes. Un matin, sa mère rentre chez eux et s’assoit à bout de souffle : elle a été touchée par une balle perdue, il faut dire que ça tire pas mal aux Blattes. La voilà morte désormais : Paul replonge aussitôt dans l’alcool avec de temps en temps un coup d’œil à la télévision. Il ne rate jamais les épisodes d’un feuilleton insipide avec la belle Hélène, bien plus jolie et bien plus bandante que les putes avec il couche de temps en temps rue saint Denis.

Après avoir contemplé le cadavre de sa mère dans sa chambre, il assiste de sa fenêtre à l’agression d’un motard par une bande. Le lendemain, Paul va sur les lieux de l’incident. Un bruit attire son attention :

J’ai allumé une allumette et je n’ai pas pu voir le fond du container. J’ai allumé une seconde allumette, que j’ai jeté comme on jette une torche dans un puits pour en mesurer la profondeur, n’est-ce pas et ça a foutu le feu à un truc, je sais pas quoi, parce que tout s’est mis à brûler, j’allais sauter quand j’ai entendu très distinctement : “Putain bordel non mais t’es dingue eh pédé sors-moi de là, merde.” dans les flammes j’ai vu Jeanne d’Arc, d’abord, puis plus distinctement Hélène, du feuilleton, c’est-à-dire objectivement une petite loute en blouson rose molletonnée qui m’invectivait que je la tire de là. »

La fille dit s’appeler Wanda et Paul la ramène chez lui. Elle ressemble tellement à Hélène. C’est le début d’une odyssée sous influence du picrate qui va mener Paul jusqu’à l’assassinat d’une bande et d’un ministre, tout ça pour les beaux yeux de son Hélène…

Un roman dérangeant

Nadine Mouque est beaucoup de choses. C’est une satire des années 90 où on voit une banlieue en pleine déliquescence sociale et ravagé par la drogue (visuellement, le roman rappelle le film De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau) où vient s’échouer une star du petit écran qui n’est autre que l’actrice principale d’Hélène et les garçons, feuilleton mièvre qui connut à l’époque un succès phénoménal. D’un point de vue littéraire, on a droit une narration qui privilégie les phrases longues, très longues, qui permettent de s’immerger dans le cerveau de Paul ravagé par l’alcool et qui, parfois, distingue mal la réalité du rêve (ah les méfaits de la vinasse !).

On peut se perdre par moments d’ailleurs, tant on ne sait plus si Paul divague ou si ce qu’il raconte est vrai. Volontiers dérangeant, Nadine Mouque ne laisse pas indemne le lecteur qui le lit d’une traite.

Sylvain Bonnet

Hervé Prudon, Nadine Mouque, présentation de Sylvie Péju, Gallimard, « La noire », mars 2019, 176 pages plus 16 pages hors texte illustrées, 18 eur

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