« La Horde du Contrevent » Henninot adapte Damasio !

« objet littéraire extraordinairement singulier […] un chef d’œuvre »

(Le Monde des Livres, 4 novembre 2004)

Un monument

La Horde du contrevent d’Alain Damasio, publié initialement en 2004 par La Volte et repris en « Folio SF » en 2007, a remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2006. C’est une consécration, le prix le plus prestigieux dans son registre, pour ce monument de la littérature d’imagination. La Horde du contrevent est un univers-monde qui n’a ni début ni fin et qui, comme Moby Dick, est une épopée allégorique de la lutte de l’homme contre une force supérieure, et de la lutte intérieure contre lui-même. Ce roman est une immense opposition entre deux forces inégales que rien d’extérieur ne vient divertir. C’est une immense ode au dépassement de soi dans l’adversité la plus rude.

C’est le talentueux et quasi autodidacte Eric Henninot qui prend cette somme à bras le corps et se lance dans une adaptation, qu’on pourrait comparer à celle du cycle d’Elric de Michael Moorcook par Julien Blondel et Didier Poli chez Glénat : le respect scrupuleux de l’œuvre et son exaltation.

 

 

Une vie à contre-vent

 

Cela fait 800 ans que des hordes se succèdent pour tenter d’atteindre l’hypothétique Extrême-Amont, là où naissent tous les vents, dont le Furvent qui dévaste la terre, force les habitants à se cacher sous terre et à reconstruire leur petit monde et enterrer leurs victimes entre deux accalmies. Il n’y a rien entre la capitale et le bout du monde jamais atteint encore, rien qui puisse former une civilisation, que des survivants épars, villageois ou pillards.

C’est la 34e Horde qui part, menée par Golgoth (le traceur qui affronte le vent en pointe) aussi motivé que furieux. Chacun dans la Horde a son rôle, pour lequel il a été formé depuis son plus jeune âge, lire le vent, soigner, combattre, divertir, ravitailler… et Sov Trochnis le scribe qui doit témoigner pour les futures hordes et qui est le récitant de cette quête.

Et voilà maintenant 27 ans qu’ils marchent, à contre-vent, ayant parfois perdu un membre et assimilé un nouveau. C’est un moment crucial d’épuisement des corps et des âmes, au point que les failles naissent dans le pack et dans les âmes. Que peut-il arriver de pire à la Horde que se désassembler avant d’atteindre son objectif ? Est-ce pire que les assauts des pillards ? Golgoth acceptera-t-il de laisser ses hommes se reposer et Caracole le troubadour trouvera-t-il les mots réconfortants pour réinscrire le mythe fondateur de cette planète hurlante dans le coeur de ses compagnons ? L’union de ces personnages tous très différents et souvent opposés fait la force incroyable de cette aventure inhumaine.

Le tome I : Le Cosmos est mon campement, met l’univers en place, les hommes aussi bien que cette improbable nature furieuse, et laisse le lecteur au moment où la Horde vit sa crise la plus grave.

 

Caracole le troubadour

 

Les dessins sont grandioses et s’approchent souvent des traits d’un Druillet, par exemple. Les personnages sont vraiment incarnés et correspondent aux images qu’on se forge en lisant le roman, et les décors sont simplement sublimes, écrasant de leur aridité et de leur immensité la petite troupe, réduisant l’humain à une particule perdue dans l’infini. Et comme le précise Damasio lui-même dans sa préface, dessiner aussi bien le vent, cet insaisissable, relève de la vraie gageure.

 

 

Au prix d’un travail colossal, deux ans et demi et quatre versions du script (Eric Henninot a pris sur lui de simplifier la narration en étant plus linéaire que Damasio, qui, dans le roman, alterne les voix), les 74 premières planches ont pu séduire le romancier. Car Eric Henninot a le talent d’ajouter quelque chose au chef d’oeuvre de Damasio, qui ne s’y trompe pas et, dans sa préface, transmet le flambeau de la Horde du Contrevent à son héritier. A tous points de vue, cette bande dessinée est un chef d’oeuvre !

 

 

Loïc Di Stefano

Eric Henninot (scénario et dessin), Gaëtan Georges (couleur), La Horde du contrevent, I : Le Cosmos est mon campement, préface d’Alain Damasio, Delcourt, octobre 2017, 80 pages, 16,95 euros

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