Les services compétents, Iégor Gran contre le stalinisme

Un texte intéressant vient de paraitre en poche (Folio), qui raconte sous la forme d’un roman les heures les plus noires, et les plus dures, du stalinisme en URSS. Il est signé Iégor Gran, qui est le fils de l’écrivain André Siniavski, lequel fut avec un autre écrivain, Youli Daniel, l’objet, et surtout la victime, d’un procès inique, qui l’envoya pendant six ans dans un sévère camp de travail. Titre du livre : Les Services compétents

Sous la terreur

Nous sommes en 1966 dans la Russie soviétique, où un KGB plus puissant que jamais, fait régner partout un régime de terreur. Les intellectuels sont particulièrement surveillés, et les écrivains qui ne sont pas dans le droit fil de l’orthodoxie du parti communiste, sont espionnés, persécutés, voire con- damnés par une police omniprésente, et une justice aux ordres. Daniel et Siniavski furent de ceux-là, et leur arrestation souleva une vague de protestation internationale, qui ne fléchit en rien l’arbitraire du pouvoir. Ils furent donc déportés pour s’être soi-disant livrés à « des activités antisoviétiques », prétexte évidemment fallacieux qui cachait la peur des intellectuels qu’éprouvait le pouvoir. 

C’est donc le procès de son père que Iégor Gran raconte, par le menu, mais pas seulement. Son texte, nourri aux meilleures sources, détaille aussi ce qui fut la vie quotidienne des Russes, des écrivains comme des policiers, dans le régime aussi ahurissant que cruel de ces années-là. Comment sont menées les enquêtes et les interrogatoires, quels furent les moyens quasi illimités du KGB, quelle folie destructrice habita les dirigeants…. Inutile de dire que le portrait est sombre, même si on savait plus ou moins confusément tout cela, et même si les livres d’Histoire ont déjà appris au monde occidental la réalité du communisme en Russie et en Europe de l’Est. 

l’humour contre la police politique

Seulement voilà. Iégor Gran aurait pu n’écrire qu’un énième document sur le sujet, tout imprégné qu’il est de son sujet, du fait de sa filiation. Mais pas du tout. Ecrivain professionnel installé en France depuis l’âge de dix ans, récompensé de plusieurs prix pour ses romans, l’homme ne s’est pas contenté de raconter ce qu’il ne sait que trop. C’est avec un humour extraordinaire qu’il l’a fait, démontant le ridicule d’une police politique obsédée de soupçons, qui traquait dans un texte la moindre ligne, le moindre mot, qui pourrait par bonheur envoyer son auteur en prison. 

C’est bien le ton enjoué, parfois drôle, de Iégor Gran qui fait tout le sel de son bouquin. Cette manière incroyable de narrer comme en s’amusant des histoires pourtant tristes. Déjà le titre du livre Les Services Compétents, dénote une ironie mordante qui ne quittera plus son récit. Il y a là un vrai talent, qui confine à un art étonnant de l’humour noir. Chapeau l’artiste !

Didier Ters

Iégor Gran, Les Services Compétents, Gallimard, « Folio », septembre 2021, 270 pages, 8,20 eur

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