Trois jours et trois nuits, le grand voyage des écrivains à l’abbaye de Lagrasse
Le village de Lagrasse est situé au cœur des Corbières, dans la vallée de l’Orbieu. Il a donné son nom à l’un des meilleurs terroirs viticoles de l’appellation. Il est aussi connu pour ses manifestations culturelles, autour du livre et de la musique, ainsi que pour la beauté de ses vieux monuments. Parmi eux, une belle abbaye de très ancienne fondation, qui fut démantelée à la Révolution, mais continua à vivre d’une façon laïque, jusqu’à nos jours. Elle fut reprise il y a une vingtaine d’années par un groupe de chanoines, épris de Saint Augustin, qui se mirent à l’ouvrage pour lui redonner sa fonction originelle. Ils sont aujourd’hui plus de quarante, et l’abbaye revit au son des laudes et des matines.
Si du point de vue religieux, le but est atteint, il reste beaucoup à faire pour tout ce qui concerne la rénovation des bâtiments, qui réclame un budget important. L’idée à donc été proposée par Nicolas Diat de réunir divers écrivains intéressés par cette belle œuvre, pour écrire un livre consacré à l’abbaye, livre dont la vente serait reversée au chantier de réfection.
Quinze écrivains français en résidence
Quinze écrivains français ont donc séjourné l’an passé « trois jours et trois nuits » à Lagrasse, et ont partagé la vie des religieux, leurs repas, leurs cantiques, leur silence, leurs prières. Parmi eux des signatures bien connues (Tesson, Enthoven, Bruckner, Rouart, Darcos, Giesbert), d’autres moins ; mais tous ont accepté (sauf Michel Onfray, qui est venu, mais n’a rien écrit) de consacrer un chapitre, et de verser leurs droits au monument.
La succession de ces quinze textes a ceci de fascinant qu’aucun ne ressemble à un autre, que chaque auteur y dévoile une singularité, une sensibilité, une personnalité, et pour certains, une foi, qui apportent une sincérité totale à l’ouvrage. Leur regard sur un monde bien particulier, que peu d’entre eux connaissait, montre bien l’étendue des questions que peut se poser le visiteur d’un pareil endroit. Il dévoile la richesse des hommes qui habitent et rénovent cette abbaye, et souvent s’en émerveille. Frédéric Beigbeder a même cette jolie conclusion « Penser à ces hommes agenouillés m’aide à tenir debout ».
Une abbaye ouverte sur le monde
Si plusieurs signataires consacrent un véritable reportage à l’abbaye de Lagrasse, passé et présent, d’autres se lancent carrément dans un cours de théologie, sans doute emportés par la mystique inspiration de ces hauts murs. Tesson, lui, ne reculant devant aucune aventure, fait escalader le clocher de la chapelle à ces bons pères, qui descendent en rappel, soutane au vent ! C’est dire que la règle monastique a droit ici à des récréations inattendues.
Les chanoines de Lagrasse ouvrent leurs portes à un public fidèle lors des messes du dimanche, apportent réconfort et sacrements dans le village à ceux qui réclament leur présence. Les Corbières ne sont pas une terre réputée très croyante, mais servent d’écrin à deux abbayes (Lagrasse et Fontfroide), deux superbes monuments qui marquent l’histoire de cette petite région occitane, et jadis cathare. Est-ce la beauté des paysages qui a suscité leur construction ? Ou simplement sa géographie, faite de collines où pousse un rude maquis, quand ce ne sont pas des vignes et des oliviers…
Trois jours et trois nuits raconte le voyage souvent ébloui de quinze auteurs, dans la pénombre mystérieuse d’un monastère. Mais ce récit est aussi celui d’un voyage intérieur. A lire pour aider ces moines « augustiniens » à continuer leur œuvre salutaire, mais à lire sans se presser, chapitre après chapitre, comme un déguste doucement un bon vin.
Didier Ters
collectif, Trois jours et trois nuits, Julliard/ Fayard, novembre 2021, 350 pages, 23 euros
Auteurs du collectif :
Préface de Nicolas Diat
Pascal Bruckner
Sylvain Tesson
Camille Pascal
Jean-René Van der Plaetsen
Frédéric Beigbeder
Jean-Paul Enthoven
Jean-Marie Rouart, de l’Académie française
Franz-Olivier Giesbert
Sébastien Lapaque
Thibault de Montaigu
Louis-Henri de la Rochefoucauld
Boualem Sansal
Simon Liberati
Xavier Darcos, de l’Académie française
Postface du Père Emmanuel-Marie Le Fébure du Bus