porca miseria, l’enfance de Tonino Benacquista

D’un père dont la question « n’était de pas de savoir s’il est soûl mais à quel point il l’est », et d’une mère effacée au possible comme ayant renoncée à vivre, Tonino Benacquista nous livre dans Porca Miseria ses souvenirs d’enfance de petit français dernier né d’une famille italienne installée en banlieue parisienne à l’hiver 1954.

Un parcours peu littéraire

Un peu à la manière inversée du très beau Spaghetti ! de Gérard de Cortanze (1) , Tonino Benacquista raconte l’immigration italienne. Mais ici c’est la la misère, l’entraide, comme un portrait sociologique de cette époque pour les Ritals comme lui (2). La pauvreté, l’entassement d’une famille dans un petit appartement et l’espace qui se libère petit à petit, quand les grandes sœurs en partent. Avec elles partent aussi les livres, ces objets qui lui ont toujours fait peur. Peur de ne pas y arriver et rebuté devant l’effort à faire. La lecture, trop peu pour lui !

C’est surtout les deux mondes opposés — le cœur de la petite famille fracturé et la rue, symbole d’aventures et de liberté — qui forme le décor des années d’apprentissage du jeune Tonino. C’est le petit dernier, et le seul garçon, autant dire le petit roi. Mais ses deux grandes sœurs beaucoup trop âgées par rapport à lui ne lui font pas une vraie fratrie. Et ses parents vivent ensemble, séparés par leurs propres monde : lui, l’usine et l’alcool, elle, la nostalgie de l’Italie et l’absence à soi pour éviter de voir son propre malheur. Et comme il n’était pas doué pour les études, et pas trop volontaire non plus, autant profiter de la vie. Ce sera son éducation.

Lire c’est entrer dans une cathédrale. Écrire c’est y mettre le feu. Lire c’est un patriarche qui vous veut du bien. Écrire c’est une petite traînée qui n’en fait qu’à sa tête. Lire c’est l’excellence des autres. Écrire c’est l’insuffisance de soi.

lire, écrire, devenir

Mais reste toujours le livre. D’abord comme objet imposé et donc rejeté. Mais comme objet fascinant. Au moins comprendre pourquoi il fait tant d’effet aux sœurs et si peu à lui. Le livre comme élément culturel ou substitut à l’évasion ne sera pas son compagnon, mais il lui permet de se poser des questions sur le monde tel qu’il va. Le monde du réel et de la conscience-ai-monde s’ouvre à lui par la magie d’une prescription scolaire : « Il aura suffit de deux livres, non pour me donner le goût de la lecture, mais pour me révéler à quoi servait la littérature ». Les Chroniques martiennes de Ray Bradbury et Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Le pouvoir de l’imagination pour critiquer le monde et le pouvoir des lettres pour l’embellir. La vocation était née.

Les lecteurs réguliers de Tonino Benacquisa apprécieront que son récit soit ponctué de références à ses œuvres, comme il s’est inspiré de son expérience personnelle pour écrire La Maldone des sleeping. C’est un roman autobiographique, voire de formation, et l’histoire d’une époque. Mais c’est aussi une réflexion au fil de l’eau sur le sentiment étrange qui empoigne l’auteur, celui du sentiment de déclassement, une fois le succès et la reconnaissance littéraire arrivés. Il n’y a pas de reniement des origines, ni — surtout pas — de sentiment de supériorité. Il y a cette petite nostalgie d’un temps où tout était plus simple.

Porca Miseria est un très beau récit, avec cette force que la nostalgie donne aux mots.

Loïc Di Stefano

Tonino Benacquista, Porca Miseria, Gallimard, janvier 2022, 193 pages, 17 eur

(1) Gérard de Cortanze, Spaghetti !, Gallimard, « Haute enfance », 2005

(2) J’abomine ce terme, qui équivaut à nègre, mais c’est lui qui l’utilise en citant Les Ritals de François Cavanna (Belfond, 1978), roman lui-aussi autobiographique qui donnera une certaine image d’Épinal de l’immigration italienne, fort remuante et colorée, jusqu’au bruits et aux odeurs.

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