Ingrid, un retour et deux romans

Encensée comme reine du thriller psychologique par l’influent librairie La Griffe noire, Ingrid Desjours avait pour un temps délaissé l’écriture. Et elle revient, bonne première surprise, et avec deux livres tout à fait différents du registre où elle s’était illustrée jusqu’à alors, ce qui constitue la bonne seconde surprise. Deux romans également très différents l’un de l’autre mais chacun portés par un enthousiasme et un vrai bonheur d’écrire.

Entretien

Vous publiez à peu de distance l’un de l’autre deux romans très différents et très différents des précédents. Que se passe-t-il ?

Je me suis fait plaisir, voilà tout ! C’est tellement important de garder le plaisir quand on écrit, d’accepter de se mettre un peu en danger et de se surprendre soi-même ! 

Cela faisait un moment que j’avais envie d’explorer de nouveaux thèmes, de nouveaux styles de narration. Pour être honnête, plus qu’une romancière ou une scénariste, je me considère avant tout comme une conteuse. Alors, peu importe le genre ou le support. J’adore écrire des thrillers et je n’ai pas du tout l’intention d’abandonner ce type d’histoires, mais je ne veux rien m’interdire. C’est ainsi que je me suis essayée au cosy mystery, qui m’amuse tellement ! Et à la littérature générale, qui m’a transportée…

Capucine Ladouce, est-ce une comédie policière ?

En quelque sorte, oui, avec tout de même en fond un sujet assez grave puisqu’on parle de violences faites aux femmes. 

Capucine Ladouce, c’est un cosy mystery qui se joue de ses propres codes, avec une question comme postulat de départ : « et si, pour une fois, c’était l’héroïne la meurtrière ? ». J’ai adoré imaginer cette héroïne à mi-chemin entre Dexter et Desperate housewives, en faire une sorte d’apprentie meurtrière profondément humaine, avec ses élans, ses gaffes, ses doutes… une femme qui nous ressemble et nous fait rire autant qu’elle nous émeut. 

Donc vous avez rendu une meurtrière attachante et sympathique. Est-ce bien raisonnable tout cela ?

Absolument pas. Mais au diable la raison ! Le ton légèrement décalé du cosy mystery permet justement ce genre de fantaisie. Le lecteur sait à quoi s’attendre : du fun, de l’irrévérence, le tout saupoudré d’un meurtre aux petits oignons. C’est le versant ludique du polar, on ne se prend pas au sérieux, on joue avec les codes et on n’hésite pas à forcer le trait !

Et Retenir l’hiver, est-ce un feel good ?

Retenir l’hiver, c’est un conte pour adultes, un roman qui fait retomber un peu en enfance et qui fait du bien, parce que les personnages sont beaux et attachants. Il pose également plein de questions en filigrane, sur les histoires que l’on (se) raconte, sur ce qui nous fait grandir en tant qu’enfants mais aussi en tant que parents, sur les mythes fondateurs sur lesquels nous nous construisons. Il fait pleurer aussi, un peu. Mais ce sont de bonnes larmes, des larmes qui nettoient et laissent apaisés, je crois. En tout cas, Retenir l’hiver est un roman à mettre entre toutes les mains, dont vous aurez envie de parler quand vous l’aurez terminé, que vous voudrez partager. 

D’où vous viennent ces histoires ? 

C’est compliqué de déterminer d’où vient l’inspiration… C’est un mélange, entre les rencontres que je fais et qui me marquent, l’observation du monde dans lequel je vis, les discussions, les peurs, les espoirs que j’intercepte ou qui sont miens… Il y a une part de magie dans la création que je ne m’explique pas moi-même. Enfant, j’ai pris l’habitude de me raconter des histoires pour m’évader d’un quotidien un peu gris, d’en devenir l’héroïne toute puissante. Je m’y projetais le soir, avant de m’endormir, la journée aussi, parfois, donnant l’impression d’être là alors que je m’étais absentée. J’ai développé un monde imaginaire riche, un refuge où je vivais plein d’aventures… et je n’ai jamais renoncé à cette aptitude, je tape juste mes pensées sur un clavier en même temps !

Comment ne pas s’emmêler avec toutes ces histoires en tête ?

J’ai effectivement toujours plusieurs histoires dans ma tête. Certaines sont  au stade de simples idées, d’autres en cours d’écriture, d’autres encore sont arrivées au stade des finitions. Et j’adore ça ! C’est un peu comme si j’avais le super pouvoir d’explorer des dimensions parallèles à ma guise, de choisir quel monde j’ai envie de visiter, quels personnages j’ai envie de développer. Toutes ces histoires viennent se nourrir les unes et les autres, s’enrichir, se contredire parfois. Je dois juste faire attention à ne pas me plagier moi-même, d’un roman à l’autre !

A-t-on une chance de vous relire un jour dans le thriller psychologique qui a fait d’abord votre renommée ?

Je suis incapable d’abandonner ce genre. Il permet tant de choses ! Dans le thriller, on peut tout dire, tout dénoncer, tout montrer… c’est un magnifique outil d’analyse de notre société. Alors, pour répondre à votre question, oui vous aurez bientôt un nouveau thriller signé Ingrid Desjours entre les mains. 

Propos recueillis par Loïc Di Stefano

Retenir l’hiver, Hauteville, octobre 2024, 320 pages, 18,95 euros

Capucine Ladouce, Hauteville, juin 2024, 384 pages, 18,95 euros

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