Ivan Zinberg, Au commencement
Quand un homme de l’art fait vivre son milieu professionnel pour en détailler les entrailles, et mener ses enquêteurs aux limites humaines du gouffre et de la violence, la signature d’Ivan Zinberg n’est pas loin. Il a marqué les esprits avec Matière noire, trois fois primé. Avec Au commencement, il reprend sa façon de cumuler les morts sans logique apparente et de faire vivre l’enquête de l’intérieur.

quatre petits meurtres
Luc Delmas est commandant à la Crim’. Son groupe est appelé sur le meurtre d’un jeune dealer abattu dans la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. Règlement de compte entre bandes rivales pour le contrôle d’un territoire lucratif ? Un second meurtre non, celui d’un gitan, les occupe ensuite. Puis un troisième, celui d’une prostituée. Et un quatrième, celui d’un chômeur gay. A priori rien ne relie ces victimes, sinon l’éventuel chemin sanglant d’un tueur à la motivation encore à découvrir.
Le contexte politique pèse lourd dans l’intrigue. Tout se tient dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2022. L’ombre du terroriste Mohamed Merah plane elle aussi, et avec elle la radicalisation islamiste. Mais, en contrepoint, la radicalisation d’extrême droite est également omniprésente. Comme deux forces noires qui tirent la société de leur côté pour qu’une, ou l’autre, forme du chaos l’emporte. L’enquête va alors servir à pointer, avec une vraie acuité et une véracité impressionnante, les dérives des deux mouvances radicales et de la violence pure qui devient la norme dans certaines banlieues, ici particulièrement la Seine-Saint-Denis.
en immersion
Au commencement est un polar classique par sa forme mais doté d’un rythme incroyable. Le lecteur avance dans un univers de béton et de violence, sans le moindre répit. Les éléments se mettent en place lentement, puis, quand tous les fils sont reliés, le rythme s’accélère encore. Et la fin, totalement insoupçonnable, révèle à la fois l’art de l’auteur à se jouer de son lecteur, pour son plus grand plaisir, et la maîtrise de son sujet et des temporalités d’une narration maîtrisée de bout en bout.
A la manière d’un effet Bac nord, le lecteur est propulsé sans répit ni bienveillance dans un enchaînement millimétré qui ne le laissera pas respirer. Amis du déni, abstenez-vous, Au commencement n’est pas pour vous. Pour tous les autres, savourez ce thriller politique et social, d’une vraie force, qui dose avec subtilité l’anxiété créée dans ce moment politique où les affrontements claniques étaient nombreux et réels pour assoir une ambiance qui laisse le lecteur en apnée.
Loïc Di Stefano
Ivan Zinberg, Au commencement, Harper Collins, octobre 2023, 320 pages, 20,50 euros