Le procès Pétain, Vichy face à ses juges
Professeur d’histoire à Queen Mary, université londonienne, Julian Jackson passe outre-Manche pour un spécialiste de l’histoire de la France contemporaine. Il a récemment publié une biographie du général de Gaulle (Seuil, 2019) qui a rencontré un certain succès. Avec Le procès Pétain, il revient ici sur un évènement aujourd’hui méconnu, alors que le principal protagoniste hante encore la conscience collective française. Comment le héros de la Grande Guerre, au final un bon chef militaire, prit-il la tête d’un gouvernement qui renversa la République et collabora avec l’Allemagne nazie ?
Trois semaines de procès
De fait, Philippe Pétain a choisi de quitter la Suisse pour revenir en France, au grand dam du général de Gaulle, prenant le risque d’un procès. Car il ne pouvait y échapper, tant le souvenir de l’Occupation et de la répression des années 1943-44 était présent. L’instruction fut plutôt rapide. Pétain eut trois avocats, dont le fameux Jacques Isorni. Les audiences commencèrent en juillet, Pétain lut alors une déclaration préalable où il annonçait vouloir rester silencieux (ce qui ne fut pas toujours le cas). Le procureur Mornet, décrit avec force détails par Julian Jackson, tenta de prouver l’existence d’un complot avant-guerre. Mais il n’y avait rien dans le dossier. Commença ensuite les dépositions des « politiques ». Reynaud fut le pire. Vaniteux, ruminant ses arguments depuis au moins juillet 1940, l’homme qui avait rappelé Pétain de Madrid pour en faire son vice-président du conseil livra un plaidoyer pro-domo qui ne convainquit pas : le temps du mépris envers le personnel politique de la IIIe République n’était pas fini. C’est Blum qui se montra le plus percutant, le plus profond. Les témoins défilèrent : c’est Pierre Laval, de retour de sa prison espagnole, qui était le plus attendu. Son témoignage montra surtout qu’il n’avait rien fait dans le cadre de la politique de collaboration franco-allemande sans en référer au Maréchal.
De l’absence de certains aspects
Le procès traita de certains aspects qui nous paraissent aujourd’hui étranges, comme ce fameux complot auquel Mornet tenta encore de donner vie dans son réquisitoire. Le fameux « double jeu » revint beaucoup dans les débats et l’affaire Rougier – ce professeur venu à Londres pour établir des contacts secrets avec Churchill – aussi. On parle peu des persécutions antijuives au cours des audiences. On mesure mal l’ampleur de l’implication de Vichy dans la Shoah (mot qui n’est d’ailleurs pas employé) et aussi à quel point le régime fut demandeur de la Collaboration : il faudra pour cela les travaux de Robert Paxton. Pétain condamné provoqua même des vagues de sympathie jusqu’à sa mort et même au-delà dans les années cinquante. Le réveil des mémoires dans les années soixante-dix, les progrès de la recherche historique et les procès Touvier et Papon ont changé la donne. Peu de personnes aujourd’hui ne reviennent sur son sombre bilan. Et pourtant…
Pétain est un fantôme, héroïsé uniquement dans certaines franges de l’extrême-droite. Un essayiste devenu candidat à la présidentielle de 2022 a voulu faire croire qu’il avait protégé les juifs français (mais pas étrangers) … le retour de vieux thèmes donc qui montre que ce procès, au fond, ne s’est jamais terminé.
Sylvain Bonnet
Julian Jackson, Le Procès Pétain, vichy face à ses juges, traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru, Seuil, janvier 2024, 480 pages, 25,50 euros