Cinq doigts sous la neige, le huis-clos en pleine montagne de Jacques Saussey
Que faut-il pour réussir un bon thriller ? Une situation initiale stressante, une intrigue habile, des fils qui se tissent les uns les autres au point de s’y perdre avec délice, et un dénouement inattendu. Mais pour un excellent thriller ? Il faut alors suivre Jacques Saussey, qui redéfinit chacune de ses étapes en leur donnant une dimension supérieure, et bien plus prenante. Cinq doigt sous la neige confirme son incroyable talent de conteur.
Huis clos à ciel ouvert
Marc Torrès est un écrivain à succès. Mais quand il n’écrit pas névrotiquement sur sa vielle machine — à la manière de l’écrivain victime des Tommyknockers de Stephen King —, c’est un homme triste. Sa femme vient de mourir, et son fils Alexandre n’est pas le garçon sain dont il rêvait… Alors, en ancien militaire, il tente de lui imposer un cadre, peut-être trop strict, mais dont les bords ne sont définis que par l’amour. Alors quand Alexandre l’implore d’accepter qu’il organise une fête pour ses 18 ans, il accepte, mais sous conditions strictes : pas de drogue, pas d’alcool, filles et garçons séparés pour la nuit. Car le petit groupe d’adolescents va passer la nuit dans l’immense propriété isolée dans les hauteurs d’une montagne, à quelques kilomètres du village. Et la tempête de neige vient poser sa gangue ouatée, créant les conditions d’un drame annoncé.
Mais une fête d’anniversaire sans alcool et sans drogue… Les garçons vont-ils tenter d’enfreindre les règles pour obtenir les faveurs des filles ? De toutes peut-être pas, mais de la très belle Mathilde, centre de toutes les attentions, certainement ? Que peuvent bien faire au bout de la nuit quinze adolescents enfermés dans un grand garage sinon faire des bêtises d’adolescents ? Sauf que tout les adolescents ne sont pas des anges, et que certains ont même déjà un lourd passé…
Et tout converge vers le gouffre blanc
Alors que la route de montagne est coupée par la gendarmerie, car devenue trop dangereuse, un homme s’y aventure tout de même, de nuit. Il doit vite rentrer chez lui, malgré les heures de retard, pour éviter le courroux de sa femme. Bien sûr qu’il travaillait, dans cet hôtel avec son affidé de meilleur copain. Bien sûr qu’il n’a rien à se reprocher. Et même s’il est toujours amoureux de la mère de Mathilde, qu’il a croisée en déposant son propre fils à la fête, c’était une vie d’avant…
Et dans cette même nuit, un ancien de la légion, devenu tortionnaire des appelés de la base militaire voisine, décide de s’amuser avec une chambrée. Ce sera une marche forcée de nuit, neige à mi-mollet. On verra si on ne parvient pas à endurcir ces lopettes pour en faire de vrais hommes. La troupe se dirige, elle aussi, vers la montagne où vit Marc Torrès. Comme si tout y convergeait. Comme si, en cette nuit de tempête, c’était l’œil du cyclone, mais pas un œil calme : celui qui focaliserait toutes les forces du Mal.
Brillamment construit, Cinq doigts sous la neige laisse aussi planer dans la tête du lecteur une petite musique, faite de style et de d’éléments contextuels, de références communes (deux écrivains et un chanteur, pour le moins) et d’une ambiance années 80 très bien restituée (avec du Léon Zitrone dedans !). Cette musique faite de la précision et la profondeur des personnages, des possibles d’une histoire incroyable pourtant, d’une écriture qui sait jouer avec son lecteur. Cinq doigts sous la neige est un vrai page-turner et un bonheur de lecture. Et puis cette fin !
Loïc Di Stefano
Jacques Saussey, Cinq doigts sous la neige, Cosmopolis, août 2020, 361 pages, 19,95 eur