Javier Cercas, Le Château de Barbe-bleue

La traque d’un riche prédateur sexuel

Dans le sillage du péruvien Mario Vargas Llosa,  l’écrivain et traducteur espagnol Javier Cercas  s’intéresse dans ses essais et fictions aux périodes du Franquisme et post-franquisme, où il analyse des personnalités troubles, comme celle de Enric Marco dans l’Imposteur.

Avec la trilogie Terra Alta dont Le château de Barbe-bleue constitue le dernier volume, il adopte le genre du thriller sur fond de corruption des élites politiques et médiatiques au profit d’un prédateur sexuel. 

Un père justicier 

Ces trois romans ont pour protagoniste Melchor Marin, policier d’abord puis bibliothécaire dans Le château de Barbe-bleue.

« A un moment donné, la sergente lui demande pourquoi il a quitté la police.

C’est simple répond Melchor, parce que je préfère mille fois vivre parmi les livres que parmi les flics et les voyous. Et toi ?

Pourquoi je suis devenue flic, ça c’est encore plus simple dit Paca Poch en lui décochant un clin d’œil. Parce que j’adore les flics. »

 Sa démission s’explique par les événements relatés dans le tome précédent, qu’il  n’est pas nécessaire d’avoir lu pour entrer de plain pied dans l’intrigue . Au début de chaque partie, le narrateur, en adoptant le point de vue de Colette, la fille de Melchor, est conduit à y faire allusion.

Dans cet univers, le présent plonge ses racines dans le passé. Ainsi Colette, suite à une escapade avec une amie à Majorque, souhaite demeurer éloignée de son père pour quelques jours. Elle est en effet bouleversée par une récente révélation sur les circonstances de la mort de sa mère, que Melchor lui avait cachée, et dont il aurait été indirectement cause.

Mais la jeune fille ne revient pas, et Melchor, face au manque d’investissement du guardia civil local, et  soupçonnant à cette disparition une cause étrangère à leur différend,  se lance d’abord seul dans l’enquête.

Des associés hauts en couleur

Mais, pour agir, il se voit contraint de solliciter des amis ou anciens amis – rencontres qui donnent lieu à des portraits hauts en couleur d’hommes et de femmes, au passé parfois trouble. Faisant appel à diverses motivations,  rédemption, vengeance personnelle ou simplement goût du risque, peu à peu il parvient à fédérer un groupe.

Qu’il s’agisse de convaincre un futur associé, d’élaborer un plan ou de raconter une action d’éclat, l’écrivain manie avec brio l’art du suspense et du dialogue, non sans humour.

« – Je me disais bien, quel genre de problème ?

En réalité, ce n’est pas un problème . C’est quelque chose que je dois te demander.

C’est important ?

Oui .

Accordé.

Melchor fronce les sourcils :

Je ne t’ai pas encore dit ce que c’est.

Peu importe, accordé.

C’est dangereux.

Tant mieux.

Dangereux et illégal aussi.

Tu commences à m’exciter. »

Le roman, en phase avec l’actualité, montre de manière paradigmatique les mécanismes de protection des prédateurs sexuels, qui se parent de notabilité  pour masquer leurs crimes, et dans le cas présent, cimentent leur image sociale par de l’argent.

Très documenté, il  montre aussi la difficulté pour les victimes, ici le personnage de Cosette, de se reconstruire après la déflagration psychique que produit une agression de cet ordre. 

Ecrit en 2022,  censé se dérouler en 2035,  ce qu’imagine Javier Cercas est à peine dystopique et ne fait que dévider l’écheveau après l’affaire Weinstein, à laquelle il fait référence en postface. 

Mêlant idéalisme et réalisme, il montre en profondeur la obstacles auxquels sont confrontés ceux qui cherchent avec ténacité à circonvenir les réels coupables afin que les crimes ne se répètent pas.

Florence Ouvrard

Javier Cercas, Le Château de Barbe-bleue, Terra Alta III, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, Actes sud, « Babel », janvier 2025, 464 pages, 10,70 euros

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