Connerland de Laura Fernández : enfin un grand auteur comique en SF !

Nouvelle trouvaille pour la collection Éxofictions d’Actes Sud. Laura Fernández, avec son Connerland renoue avec le must de la SF parodique !

Disons-le tout de go ! Connerland ? Quel pied ! Cela fait lurette, impétrant lecteur, que votre serviteur, adepte de popculture et de littérature imaginaire ici à Boojum, n’avait pas éclater de rire de la sorte. À la lecture d’un roman de Science-Fiction de surcroît !

Alors que les années passaient, que sortaient à foison des Post’Ap(o)s radicales, des dystopies déprimantes, des Space’Ops’ renaissants. Alors que la Fantasy retrouvait, elle, le sens de l’humour (Pratchett toujours et, sous nos contrées, Gabriel Katz !). J’avoue : je désespérais ! Quand allais-je retrouver, en SF, un.e auteur.e qui renouerait enfin avec cette veine bwaaaesque du gargouillis galactiques, du Co(s)mique à l’imagination débridée qui fit longtemps le bonheur des amateurs ? Mieux ! Qui plongea, pour certains, dont mézigue, le lecteur esbaudi, dans les affres science-fictionnelles plus sûrement que les sagas cultes, les classiques marmoréens, les standards du genre.

Kurt Vonnegut, l’oeuvre complète, influence notable de L. Fernández

Et Voss vint !

Et Bam ! Ecco le chaînon manquant ! Car, sorti ce mois-ci dans l’excellente collection ÉxofictionS de l’arlésienne maison Actes Sud, le nouvel opus de Laura Fernández, Connerland, n’est rien moins que cela ! Le pont entre la génération des 80’s qui vit briller les derniers feux de la galaxie Douglas Adams et les autres. Ultime surgeon de la lignée parodique de notre genre préféré. Orphelins nous étions, depuis, de l’univers du GUIDE (du routard galactique -n’en déplaise au guide touristique qui fit un procès !). De ses 1001 usages de la serviette éponge (elle aura son sens aussi ici), de sa réponse à la grande question de la vie, de l’univers et du reste (qui ne connait pas 42 s’arrête immédiatement de lire !!!), de la poésie vogone, de Marvin l’androïde paranoïde etc etc.

Si en Fantasy et YAL (litté ado), la parodie filait la métaphore à qui mieux mieux. Étirement interminable de la série Discworld de Terry Pratchett (au demeurant jubilatoire…un temps), ou succédanées d’Harry Potter en mode nimportnawak. La SF se rabattait sur la télé. Le geek gloussant devant BBT, aka Big Bang Theory avec une jouissance finalement, au fil des ans, légèrement frustrée.

Car où était l’héritage des Fredric Brown (oui le prénom s’écrit comme ça !), des Robert Sheckley, des Stanislas Lem, des Kurt Vonnegut ? À quand un nouveau Martiens Go Home ! Un Dimension des miracles ? Une nouvelle Cybériade !? Un berceau du chat ?! (par ordre d’apparition des auteurs siouplait).

martiens Go Home ! LA référence de la SF parodique, édition US

La SF Pop, par essence

Cette lignée là a donc trouvé une héritière en Laura Fernández. Car un genre se sait mûr quand il réussit sa propre autoparodie ! Et Laura Fernández, avec Connerland lâche les chevaux ! Décrispant l’ambiance actuelle. Celle d’une SF artificiellement intelligente, écologiquement épouvantée, socialement dictatoriale, ad nauseam…Louée soit donc Laura Fernández. Car elle libère enfin la boîte de pandore. Elle casse ce couvercle pesant, cette mauvaise conscience de fin des mondes. Qui petit à petit avait envahi les imaginaires et les catalogues. Et comme elle nous remplace ça par un véritable feu d’artifice d’inventivité débridée ! Autant dire le bien que ça fait ! Oh que oui !

Car la dame a un style. Des styles même. Une verve permanente d’où jaillit le bon mot, le raccourcis qui tue, le surnom ravageur. Style, oui, car elle éparpille dans Connerland moultes astuces typographiques, qui ajoutent encore à l’impression de dinguerie. Majuscules grasses, italiques suggestives, parenthèses apposées à propos, onomatopées intempestives et sentencieuses. Une vraie panoplie d’imprimeur qui aura “chier dans le cassetin aux apostrophes” comme le veut la tradition depuis Gutenberg ! Et bien loin d’être un abus de façade. Une technique cache misère. On imprime tout de suite aux desiderata de l’auteure. Les signes sautent littéralement aux yeux, aux sens. Même en mode non-sens ! Depuis les slogans de compagnie, les noms de marques, jusqu’aux publicités interstitielles, sans oubliées les sons onomatopesques qui (GASP) gargouillent allègrement dans la page. Les dialogues sont à l’aune de cette ménagerie des méninges et des messages. Passant d’un rythme de mitraillette à l’introspection sourcilleuse.

Brenda fronça les sourcils. Les sourcils de Brenda étaient des sourcils particulièrement charmeurs et particulièrement curieux. S’ils avaient été des petits garçons plutôt que des sourcils, ils auraient été du genre à se coucher tard.

P22

Mais qui est Voss Van Conner. Et ce satané OHOHOH Denver ?

Couvertures des VOs de Vonnegut, dont Timequake, l’une des influences de L. Fernández

Et je ne parle pas des noms de personnages ! Voss Van Conner, Brenda Sherikov, Lemy Manderlan, Jubb Renton, Reddy Dolden, Chicken Kiev. Un catalogue de sérial Syfy des 50’s ! Bref, on se croirait dans un Pohl et Kornbluth (ceux de Planète à gogos) qui aurait muri au soleil de Vonnegut. Qui considérerait PK Dick comme une comptine à faire lire dès le plus jeune âge, et Star Trek comme le summum de la fashion week.

Mais cessons là ce canevas élogieux en diable, et sans doute intrigant, impétrant lecteur, pour vous décrire un peu mieux la chose. Ce sac de nœud cosmico/comicotemporel. Embarquons donc en Connerland. Le voyage vaut le prix du ticket et même plus ! Bienvenue à bord du vol 5537 pour Bromma de la compagnie Timequake (BIENVENUE À BORD DE VOTRE CAPSULE TEMPORELLE TM – référence évidente au maître Vonnegut).

Voss, Voss Van Conner, (Kurt Vonnegut ou plutôt son épigone romanesque Kilgore Trout héros du méconnu Timequake) donc est un écrivain de Science-fiction. Prolifique. Et pitoyablement méconnu. Un écho lointain du Luke Devereaux de Martiens Go Home de Fred Brown, en panne lui d’inspiration. VVC, quant à lui, n’en manque pas, d’imagination. Il a brodé toute sa vie des romans pop(ulaires) improbables. Pulps peuplés de Dinosaures fonctionnaires (clin d’œil à la dimension des miracles de Bob Sheckley !), d’immeubles vivants inhabités mais nomades. D’extraterrestres surtout. Bref, un de ces dignes spooky qui orbitent dans le genre, depuis que la SF EST la science-fiction et vice versa. Un âge d’or où l’improbable est permis. Recommandé même. Et le kitsch, bien sûr. Qui peinturlure le monde de couleurs acidulées et pops.

La dimension des miracles de Robert Sheckley, illustration Siudmak, presses pocket SF

Une mort bête, quoique…

Mais l’imagination débordante ne protège pas de la plus consternante des morts qui soit. Toucher, trempé, une ampoule défaillante devant sa baignoire en mimant le space ranger avec son sèche cheveux et jouer à who shoot first ? Ça c’est fait pour Voss.

Mais n’est pas Han Solo qui veut. Et VVC de se réveiller…dans une salle d’attente ! D’un immense…vaisseau spatial ? Tenu par des …stewards ayant toute l’apparence d‘Homme Pâles Ornés de Barbiche Soyeuse et Exquisement Ondulée ? Affublée de sa seule serviette à motifs de dauphins (cela a son rôle, si, si ! Douglas Adams appréciera), Voss commence à gamberger. Et d’abord, c’est l’hypothèse d’un enlèvement E-T qui vient à son esprit perturbé. Cette abduction qui a fait craquer sa femme sur le point de le quitter. Nonobstant, Voss n’est pas la dernière GIRAFE TRÈS TRÈS CÉLÈBRE venue (que le lecteur pardonne toutes les apparentes incohérences, elles sont l’oeuvre des esprits tourmentés réunis de l’auteure et de VVC et trouveront des réponses dans les livres des susdits auteurs SF barjos). Et devant DENVER, ce qui semble être le chef / Dieu / Machin-à-visage-géant qui dirige le dispatching, il arrive in extremis à négocier son retour. Sur terre. Son apparente résurrection. Croit-il.

Pohl et Kornbluth, LE duo de la SF! Présence du futur

Burlesque et CIE

Mais le summum est à venir. Et sans son “contact” sur terre , comme les codicilles des indications des conditions de son retour le stipulent, à savoir la mélancolique hôtesse de l’air du vol 5537 Brenda, Brenda Sherikov, Voss est invisible. Un ectoplasme quoi. Dont le temps est limité pour, peut-être, refaire sa vie. En pire ou en meilleure. Entre temps, importuns et vautours, vont tourner autour de son destin. Dans un
maelström bien foutraque ! Depuis son agent littéraire Chicken, Chicken Kiev, qui obtient enfin un rendez-vous juteux avec l’éditeur doré Ghostie, Ghostie Backs, faiseur de roi et de blockbuster. À sa défunte épouse, aussi peu éplorée que rapide à goûter au fruit du péché avec le croque-mort venu préparer la cérémonie d’enterrement. Sans oublier Jubb, Jubb Renton, son plus étrange fan, lecteur compulsif de toutes ses œuvres dont la plus iconique de toutes Excursion à Delmark-O. Dont il connait l’intrigue par cœur et qui lui fait envisager une drôle de supercherie… À moins que tout ce la ne soit le fruit d’un délire encore plus improbable !

Si Laura Fernández avait déjà dézingué le genre Zombie en 2014 chez Denoël (La chica zombie) ici, on peut dire sans coup férir, qu’elle atteint à l’acmé de la parodie. Peu importe que le lecteur ne trouve pas autant de références que le plus madré des lecteurs du genre. Foin de la nécessité d’une culture idoine. Laissez-vous prendre au jeu des aventures rocambolesques de Voss et consorts, dans ce Y-a-t-il un martien dans l’avion 5537. Connerland est un vol foutraque et rabelaisien à la fois, une régalade en mode on-se-tape-des-barres à s’en faire mal aux zygomatiques !

Révérence et chapeau bas, Señora Fernández !

Marc Olivier Amblard

Laura Fernández, Connerland, Actes Sud, « Éxofictions »,, traduit de l’espagnol par Sébastien Rutès, avril 2019, 23,50 eur

Laisser un commentaire