La Guerre après la dernière guerre de Benedek Totth. Der des Ders ?

À l’Est du nouveau !


Avec le nouveau roman SF du hongrois Benedek Totth, Éxofictions décidément surprend encore. La Guerre après la dernière guerre va en retourner plus d’un ! Car comme dirait Charlton Heston aka le capitaine George Taylor dans le twist final de La Planète des singes 1968 :

Ah les criminels, ils les ont fait sauter leurs bombes ! Soyez maudits !

En effet, l’inéluctable folie des hommes à embrasé le ciel d’Europe ! Une guerre totale, nucléaire, déchire le monde. USA vs RUSSIE. Et dans cette ville de l’est, Budapest ou toute autre cité semblable car elle n’est jamais nommée, l’enfer a ouvert ses portes. Mais même l’enfer peut être dépassé parfois..

Apocalypse slow

C’est avec sidération que Benedek Totth nous trimbale alors. Comme des rats morts. Car tel était le titre sibyllin et sombrissime de son premier opus.
Un polar déliquescent qui nous avait habitué, déjà, à cette écriture noire en mode Bret Easton Ellis, et qui vient de ressortir en édition de poche chez Babel noir.

Sur les traces d’un enfant survivant, nous explorons la citée ravagée. Sa dernière communauté viable, faite d’adultes dépassés mais solidaires, d’enfants désespérés mais joueurs. C’est parmi eux que surnage un jeune ado anonyme. Orphelin, obsédé par la disparition de son jeune frère Théo lors d’une banale sortie hors du refuge. Un simple jeu anodin, comme un caprice, avec son damné soldat noir en plastique.

Mais si la ville est ravagée, les hommes aussi. Entre raids aériens et guérillas souterraines, terrains minés et razzias de mutants de la zone rouge, l’enfant est bien vite confronté à l’ultime course, avec la mort, partout, pour décor.

(G)I will survive

En réchappant in extremis à un bombardement puis à une attaque aérienne, l’enfant tombe par hasard sur un parachutiste survivant. Un GI noir américain plus mort que vivant. Pendu et sanguinolent à un chicot d’immeuble en ruine. Ce secret, il n’a pas vraiment le temps de le conserver face à ses copains et aux adultes du refuge. En rentrant d’une dangereuse exploration nocturne pour vérifier l’état du GI, il découvre l’abri annihilé par une frappe directe.

Condamné pour condamné, il décide de laisser une chance au parachutiste. Et, en le soignant, de lier son destin au sien. Une vie pour une autre. Tenter le tout pour le tout. Traverser la ville et ses zones irradiées. Ses mutants, ses commandos russes fous, les lâchers de bombes et de missiles aléatoires, la faim et la folie. Vouloir coûte que coûte s’obstiner à retrouver son frère. Car une photo trouvée sur un étrange soldat reporter va lui prouver, définitivement, qu’il est toujours en vie. Prisonnier quelque part d’une faction russe. De celle qui génocide la cité, méthodiquement. Alors commence le mode survie pour l’enfant et Jimmy le soldat.

Sous les bombes la folie

Alors, certes, parce qu’il est traducteur de Cormac McCarthy, entre autres, on va tout de suite penser au magistral chef-d’oeuvre SF de cet auteur La Route. Mais bien plus marquant pour le lecteur littéraire de livre de guerre et de genre que je suis, on retrouve dans ce texte remarquable de Benedek Totth un air du JG Ballard de l’Empire du soleil, son autobiographie d’enfant devenu fou, fasciné par la guerre. Du Kurt Vonnegut d’Abattoir 5 dans l’enfer de Dresde revu par une SF shootée. Ou du déluge de Sous les bombes,ce chef d’oeuvre méconnu de Gert Ledig.

Car, oui, il y a de tout cela dans ce roman SF tripal et hypnotique de Benedek Totth ! Un va-et-vient incessant et usant entre des flash-backs illusoires de paradis perdus et des visions cruelles. Des cauchemars traumatiques et des présents sordides.

C’est pourquoi, on espère sans cesse une fin au calvaire des personnages de Benedek Totth. À cette quête absurde du frère, cette abnégation qui se transforme en aliénation. Et l’oppression nous marque, comme elle marque les personnages et leur monde mortifère. L’ultime résistance finale n’étant finalement qu’une sorte de sursaut dans l’agonie.

Totth et ses morts

Car là n’est pas le moindre paradoxe de ce livre. Pour y adhérer, il faut sombrer dans le maelstrom proposé par Benedek Totth. Se laisser happer par les hachures du style, les incohérences du récit, qui lui aussi agonise. Accroire avec l’auteur, que dans la folie de la guerre vue à hauteur d’enfant, surnage malgré tout des fulgurances, des sursauts de vie et d’espoir. Que le spectacle, car c’en est un, entre voyeurisme et dégoût, est là pour nous dire quelque chose de l’indicible. Que seuls les victimes ont une chance de rédemption. C’est dans les parenthèses de l’innommable que se cache les derniers soubresauts de l’humanité. Jusqu’au désespoir du choc final.

Ni dystopie, ni uchronie, ni post-ap’, ou tout cela à la fois, comme seule la Science-fiction, la SF, la vraie, est capable de l’assumer. Car ne vous y trompez pas, La guerre après la dernière guerre de Benedek Totth est un grand livre de SF ! Révérence et chapeau bas !

La cendre a enseveli la ville comme la guerre a enseveli le temps »

Marc-Olivier Amblard

Benedek Totth, La Guerre après la dernière guerre, traduit du hongrois par Natalia Zaremba et Charles Zaremba, Actes sud, « Éxofictions », octobre 2019, 21,50 eur

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