« Et moi, je vis toujours », Jean d’Ormesson raconte le monde des hommes
Incorrigible Jean d’Ormesson ! Comme s’il ne suffisait pas qu’une œuvre déjà très abondante ait été glorifiée, académisée, honorée, récompensée, voici qu’après sa mort, lui aussi bouge encore. D’ailleurs, le titre de son livre est très clair : Et moi, je vis toujours. Parole d’Immortel, on ne saurait mieux dire….
Raconter le monde
Qu’on ne se méprenne pas : cet ouvrage est bien un livre posthume, publié après sa mort survenue en décembre 2017. De quoi s’agit-il ? Rien moins que de raconter le Monde depuis que l’homme existe, du moins l’homme que l’on connait, celui des livres d’histoire, l’Homme avec un H, qui incarne l’humanité depuis que les premières tribus vinrent faire de l’agriculture aux bords du Nil.
C’est cet homme, qui parle à la première personne dans le livre, qui se confond avec l’Histoire dont il est le narrateur, c’est cet homme donc, qui conte toutes les actions humaines qui ont secoué la planète au cours des derniers millénaires.
Et c’est cet homme qui est à Troie avec Andromaque, dans la fusée Apollo qui va sur la Lune, qui accompagne Christophe Colomb en Amérique, qui prie avec Mahomet à La Mecque, qui monte à l’ échafaud avec Marie Antoinette, qui revient avec Bonaparte en Egypte où il a bien connu Akhénaton, qui meurt de la peste à Venise puis dîne avec Madame de La Fayette ou Chateaubriand.
Au passage, notre homme, c’est-à-dire l’Homme, peut aussi s’incliner sur les malheurs du monde (Guernica, Auschwitz, Hiroshima…), célébrer ses héros préférés (Newton, La Fontaine, Titien, parmi d’autres), et brocarder à loisir « ce voyou de Retz et cette fripouille de Bussy-Rabutin ». Bref, il y en a pour tout le monde. D’autant qu’il sait tout de Marco Polo et des Aztèques, de Ronsard et de Talleyrand, des Chinois et des Arabes, du juif errant et des sans-culotte, de Byzance et de Bagdad. Cela fait beaucoup….
De la culture !
En bon normalien, Jean d’Ormesson affiche ici une culture littéraire et historique absolument phénoménale. Et on doit à la vérité de dire qu’on souffle nettement en posant le livre, car cet étalage, à la fin, lasse un peu. Et le lecteur a la tête qui tourne quand il passe en cinq pages de Casanova à Martin Luther King, avec un détour par Stalingrad…
C’est que le récit est mené à la vitesse d’un cheval au galop, qui franchirait à la fois les mers, les siècles et les continents, en s’arrêtant là où il s’est passé quelque chose, c’est-à-dire à peu près partout. Mais rien n’arrête Jean d’Ormesson, et surtout pas le plaisir d’écrire, auquel il cède ici sans retenue, ce qui nous vaut quelques longueurs facilement évitables. Surtout sur la fin du livre, qui se traine sans justification.
Aussi infatigable qu’incollable, l’écrivain avait déjà écrit, sur le même thème et d’une plume aussi alerte, un bouquin au titre soigné : Presque rien sur presque tout. Passons sur la fausse modestie qui se fait jour, et convenons que le célèbre « Jean d’O. » est un sacré conteur, autant qu’il fut un brillant causeur. C’est déjà très bien.
Didier Ters
Jean d’Ormesson, Et moi, je vis toujours, Gallimard, « Folio », 300 pages, août 2020, 8 eur