L’aube des mythes de Julien d’Huy
Phylomythologie, mode d’emploi
Ce livre est un précis de phylomythologie… mais qu’est-ce que la phylomythologie ? Une méthode statistique destinée à étudier l’évolution des mythes à travers le temps. Comment opère Julien D’Huy, son inventeur ? S’inspirant de la biologie, il découpe un mythe en taxons, c’est-à-dire en petites unités de signification, qu’il cherche à retrouver dans divers récits. Ainsi parvient-il à étudier la façon dont les différents aspects des mythes évoluent à travers le temps, mais aussi dans l’espace. C’est que les mythes suivent les déplacements des populations et ils permettent même, parfois mieux que les os et autres vestiges, à repérer les migrations, tout au moins à valider ce qu’on en sait. Notre auteur propose ainsi des arbres généalogiques des motifs mythologiques semblables à celles de la génétique, qui décrivent leurs évolutions de pays en pays !

La phylomythologie, dit notre auteur, met en évidence les liens qui unissent des motifs mythologiques et permet ainsi de remonter le temps. On pourrait dire que c’est une archéologie de la psyché humaine, grâce au langage qui porte les mythes en nous donnant un monde où vivre, grâce au langage qui les transportent – jusqu’à nous selon Julien D’Huy, jusque dans les discours scientifiques, affirme-t-il.
Julien D’Huy retrace ainsi les deux grands mouvements qui ont amenés des premiers humains à peupler la terre entière. Le premier part de l’Afrique comme il se doit il y a 60 000 ans AEC (avant l’ère commune), bifurque vers l’Orient, l’Inde, l’Océanie, jusqu’à l’Australie. Ce n’est que dans un second temps que, partant toujours d’Afrique, des humains plus récents, après 60 000 ans AEC, peuplent l’Eurasie.
L’aube des mythes étudie les motifs mythiques liés à la mort dans l’histoire des Sapiens, voire de ses prédécesseurs parmi les homininés. Citant Freud, notre auteur rappelle que, inconsciemment, nous nous croyons immortels… hélas la réalité nous contredit ! Tous les mythes nous racontent un accident suite auquel nous devenons mortels… heureusement, ils décrivent une seconde vie, voilà qui nous réconforte en restaurant notre intuition première ! Comme le font les rêves ? Il suffit d’y croire…
La pomme était en bois !
La bible fait résulter la chute dans la mortalité de la consommation d’un fruit. En fait, il n’est pas question d’une pomme dans le texte, le dieu ordonne à Adam et Ève de ne pas consommer « de l’arbre » ou « du bois » (telle est la bonne traduction). L’anthropologue James Frazer pense qu’il y aurait eu au paradis un arbre de vie et un arbre de mort : Adam aurait fait le mauvais choix… Quant au thème du serpent, on le retrouve dans l’épopée de Gilgamesh écrite 1800 ans AEC. Le mythe du dieu appelant Adam et Ève suite à leur faute se retrouve dans des mythes africains.
Le mythe d’Orphée présente également une belle prospérité. La première allusion à Orphée que l’on connaisse en Grèce date du VIème siècle AEC. On retrouve dans le Kojiki, un mythe japonais, une structure narrative proche de l’histoire d’Orphée et Eurydice : après la mort de son épouse, l’époux tente en vain d’arracher celle-ci aux enfers. Il ne peut s’empêcher de la regarder.
Je ne donne ici, trop rapidement, que deux exemples parmi bien d’autres.
Les travaux de Julien d’Huy sont salués pour leur rigueur méthodologique et leur capacité à apporter un éclairage nouveau sur les mythologies anciennes. Ses recherches montrent que ces mythes ont une origine africaine et remontent à une époque antérieure à la sortie d’Afrique par Homo sapiens. Il explore également les relations entre les mythes et les pratiques funéraires, ainsi que le rôle des animaux dans les mythologies anciennes. On peut également lire de lui La Préhistoire des mythes, où ilapplique sa méthode à d’autres grands mythes humains.
Mathias Lair
Julien d’Huy, L’aube des mythes – Quand les premiers Sapiens parlaient de l’Au-delà, éd. La Découverte, septembre 2025, 504 pages, 15,90 euros