Horizon : une saga américaine Chapitre 1 – avis sur une grande fresque décomposée
L’Amérique pendant et après la Guerre de Sécession ; le début d’une nouvelle ère, de la Conquête de l’Ouest, avec de nouveaux défis et la rencontre avec les autochtones.
Les prochains mois seront marqués par les sorties de deux œuvres à l’ambition gargantuesque, sanctionnées par la presse au dernier Festival de Cannes et financées en grande partie par leurs auteurs, en raison des craintes des producteurs. La première, Megalopolis, est le fruit de la vision de l’immense Francis Ford Coppola. La deuxième, Horizon : une saga américaine chapitre 1 pose les bases d’une trilogie audacieuse, façonnée par l’acteur et réalisateur Kevin Costner. Ce dernier revient derrière la caméra pour honorer le genre qui fit sa gloire avec Danse avec les loups mais aussi avec le mésestimé Open Range.

Tout comme Clint Eastwood, Kevin Costner a toujours embrassé une posture classique pour traiter de l’Ouest sur grand écran, s’éloignant d’emblée du western spaghetti, sur le fond et sur la forme. En respectant le lyrisme poétique d’un John Ford ou d’un Anthony Mann, Kevin Costner s’est tourné vers un passé prestigieux, un âge d’or aujourd’hui oublié, au profit des pitreries excessives d’un Tarantino. Kevin Costner aime prendre des risques, quitte à se perdre dans ses rêves (The Postman) et à essuyer un énorme revers au box-office.
Voilà pourquoi Horizon pourrait sonner le glas de sa carrière de cinéaste puisque les prédictions commerciales ne lui sont guère favorables, alors qu’il a engagé une bonne partie de sa fortune dans son entreprise. Par ailleurs, son entêtement à développer trois longs-métrages pour une durée totale de dix heures interpelle. Beaucoup lui conseillaient de transposer son projet sous forme de série télévisée et les critiques le lui reprochent désormais, arguant que le petit écran était bien plus adapté à son récit et à sa pléthore de personnages.
Pourtant, à bien des égards, l’acteur/réalisateur a sans doute eu raison de s’obstiner, puisque le résultat de ses efforts protéiformes ne déçoit pas, pour peu que l’on apprécie les noms illustres d’antan. De fait, Horizon incarne le film monstre, un poil indigeste par moments mais qui a le mérite de rendre hommage à tout un pan du septième art, injustement oublié ces dernières années. Une époque bénie bercée par les cavalcades orchestrées par John Ford, Anthony Mann ou encore Howard Hawks, dont Kevin Costner revendique l’héritage depuis que Clint Eastwood a abandonné les contrées sauvages.
Ultime bastion
L’exposition de près d’une heure énonce clairement ses intentions. Il se dresse comme un dernier rempart, le garant d’une certaine approche de son métier, même s’il doit se sacrifier lui-même, il ira jusqu’au bout pour sauvegarder l’idée qu’il se fait de son art, écartant dans ce cas précis, le développement d’une quelconque série à destination des plateformes. Il présente alors des personnages à son image, qui osent, qui se révoltent parfois et qui n’hésitent pas à faire usage de leurs armes pour arriver à leurs fins. Et leur combat est résumé à travers l’assaut des Apaches contre la colonie de fortune fraîchement établie sur leurs terres.
Lors de cette bataille acharnée et aussi désespérée que la lutte menée par le cinéaste, ce dernier se rappelle aux bons souvenirs d’Anthony Mann au moment de retranscrire les explosions de violence ; l’utilisation du hors champ, de la suggestion terrifie davantage que n’importe quel effet sanguinolent racoleur, trop employé aujourd’hui. Et dès cette introduction, il s’approprie le dispositif poétique et lyrique cher à ses ainés, entrevu déjà dans Danse avec les loups et parfaitement maîtrisé ici, lors de séquences poignantes.
Condamnés à une mort certaine, un père et son fils échangent un ultime regard et attendent leur funeste destin dans la dignité. À quelques centaines de mètres de là, des familles réfugiées sous une tente s’apprêtent à en finir pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. L’un d’entre eux administre l’extrême-onction ; un geste, qui rappelle, tout comme les paroles du premier narrateur, que l’Amérique est née dans le sang, la sueur et les vers de la Bible. Et dans Horizon, le rêve de toute une nation repose sur un tract quasi mensonger, morceau de papier qui balaie les poncifs attribués de manière récurrente au genre.
La conquête de l’Ouest, une chevauchée désenchantée

Les paroles de Danny Huston illustrent à merveille l’état d’esprit de Kevin Costner et sa perception du western ainsi que sur l’image préconçue qu’on en a ; « nous ne faisons pas l’Histoire comme les Indiens n’invoquent pas la pluie. Ces mots symboliques se réfèrent au fameux principe de démystification du genre, à cette remise en question amorcée par Sergio Leone, Sam Peckinpah, Michael Cimino et Clint Eastwond (ne parlons pas du cas épineux de Tarantino).
Cette croyance populaire voudrait que les pères fondateurs, de Ford à Hawks en passant par Mann, n’aient jamais écorné le mythe du cow-boy et de son environnement. Et pourtant, ils ont offert, bien avant leurs successeurs, une vision moins enchanteresse de la conquête de l’Ouest, ce avant L’Homme qui tua Liberty Valance. La Prisonnière du désert ne décrit il pas la descente aux enfers d’un pistolero, ancien soldat de la Confédération, à la recherche d’une captive et endeuillé par le massacre de sa famille, femme et enfants inclus ?
Delmer Daves n’a-t-il pas égratigné le rôle idyllique du cow-boy dans un film éponyme ? Ou Anthony Mann ne s’est-il pas préoccupé de la dérive libérale dans le Far West avec Les Affameurs ? Les exemples ne manquent pas (on pense aussi à L’Étrange incident de William Wellman) et il faut donc se remémorer qu’il n’existe pas de regard archétypal sur le western pour les géants du genre. Et nul besoin de fusillades sanglantes pour appuyer sa démonstration. Une réflexion que Kevin Costner approfondit avec une classe éblouissante.
En optant pour la période de la Guerre de Sécession et des années qui s’ensuivront (à l’occasion des chapitres à venir), Kevin Costner ne choisit pas la facilité pour souligner sa démarche. La plupart du temps, dans l’optique d’une « démystification » les cinéastes préfèrent user du contexte de la fin du dix-neuvième siècle. Mais la chronologie adoptée par Kevin Costner relève d’un bon sens évident. La Guerre de Sécession marquera le commencement d’une nouvelle ère pour la nation, et si elle est présentée ici en dehors du champ de la caméra, le spectateur ressent son impact. Les soldats sont plus occupés à se préparer au conflit qu’à protéger les civils, venus en nombre, de manière chaotique, dans l’Ouest, là où le rêve est toujours permis.
Une fois encore, Kevin Costner n’a pas recours à des artifices ostentatoires pour dépeindre cette chevauchée désenchantée. Un adolescent désire se venger et découvre un monde plus hostile et immonde. Des êtres avides d’une nouvelle chance sont rattrapés par leurs erreurs d’antan. Quant à l’ordre, il n’existe pas et seule la loi du plus fort prévaut, puisque ni shérifs ni marshals ne font régner la justice sur cette partie du territoire. Le metteur en scène n’omet aucun détail dans ce tableau peu reluisant et ira même jusqu’à s’attarder sur le sort des ouvriers chinois (question rarement évoquée, étonnant quand on sait que cette communauté a construit les chemins de fer dans des conditions effroyables).
Mauvaise série ou vrai film choral ?
Et c’est via le prisme de ce portrait peu flatteur de la société américaine que Kevin Costner caractérise ses protagonistes et écrit leur histoire faite de violence et de larmes. Au vu de la multitude de figurants, il est aisé de se perdre et les limites d’Horizon affleurent. Le cinéaste passe d’un personnage à l’autre, si bien que l’esquisse prend en partie le dessus sur la profondeur tant attendue. On se désole qu’il ait écarté avec véhémence le format de la série télévisée… mais si l’on analyse avec le recul nécessaire, on s’aperçoit que le fil conducteur, à savoir l’appel à migrer pour un avenir meilleur opère et permet de donner corps à l’ensemble, sans fioritures, avec efficacité.
En s’attardant sur des tranches de vie anodines mais évocatrices (cf la scène où Sienna Miller écrase deux scorpions), Kevin Costner touche du doigt l’authenticité d’un quotidien éprouvant, où même les militaires doivent cultiver les champs. Et c’est grâce à ces quelques menus détails qu’Horizon impressionne et force le respect. Il devient, en effet, un véritable film choral plutôt qu’une mauvaise série condensée. Si les personnages ne se rencontreront peut-être jamais, ils partagent en revanche une destinée commune, celui de (re) bâtir un monde à la force de leurs poignets, en détruisant l’ancien et en comptant leurs morts.
À n’en pas douter, Horizon : une saga américaine Chapitre 1, personnifie le long-métrage mal aimable pour un public peu enclin à supporter une densité aussi pesante qu’un rythme parfois au ralenti. Dommageable car sans se poser comme un chef-d’œuvre incontournable, ce western somme brille par son classicisme absolu. Vivement la suite !
François Verstraete
Film américain de Kevin Costner avec Kevin Costner, Sienna Miller, Sam Worthington et Danny Huston. Durée 3h01. Sortie le 3 juillet 2024