Charles Bedeaux le Magnifique, un capitaine d’industrie

Un historien curieux de tout

Spécialiste de Napoléon et du premier Empire auquel il a consacré de nombreux ouvrages, directeur général de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz n’hésite pas à s’intéresser aussi à d’autres sujets historiques : il a ainsi écrit un excellent ouvrage sur L’assassinat de John F. Kennedy (Nouveau Monde éditions, 2010) et un autre sur le refuge alpin du dictateur nazi, Le Diable sur la montagne, Hitler au Berghof (Perrin, 2017). Il a choisi ici de s’intéresser à un inconnu de l’histoire, Charles Bedeaux. Et il n’a pas toujours été un inconnu…

Une vie d’aventurier

A la lecture de ce livre, on peut affirmer sans détour que Charles Bedeaux (1886-1944) a eu une vie hors du commun. Cet homme plutôt rebelle dans sa scolarité, vaguement souteneur dans sa jeunesse, a fini par devenir ingénieur-conseil après avoir émigré en Amérique. Là, il invente un système d’organisation scientifique du travail dans la lignée du taylorisme extrêmement performant et qui va le rendre très riche. Bedeaux, qui a la double nationalité franco-américaine, vit à cheval sur les deux continents, achète un château, multiplie les maîtresses et monte des expéditions, dont une Canada fait qu’un passage porte son nom. En France, il est la cible de la CGT et des partis de gauche, surtout lorsque sa méthode est imposée dans les mines de la compagnie d’Anzin ou dans les chemins de fer (qui ne sont pas encore nationalisés). Bedeaux n’en a cure.

Les liaisons dangereuses ?

Après-guerre (et après sa mort), Bedeaux est passé pour un sympathisant nazi, voire un espion. Thierry Lentz rouvre le dossier et étudie avec précision les faits. S’il a été un proche du duc et de la duchesse de Windsor, Bedeaux était surtout occupé par le sort de ses affaires en Allemagne. En 1939, c’est à lui que le gouvernement français fait appel pour réorganiser l’industrie de guerre en collaboration avec le ministre Raoul Dautry. Après la défaite, Bedeaux veut jouer un rôle entre Vichy, les nazis et les américains. Il s’illusionne, se prend les pieds dans le tapis en croyant mettre en valeur le secteur des mines en Algérie. Sans doute manœuvré par l’Abwehr mais aussi par son compatriote Robert Murphy, Bedeaux est lâché, emprisonné même par les américains. On le soupçonne de trahison, de sympathie nazie, le FBI s’en mêle et l’interroge. Brisé psychologiquement, sous calmants et sous somnifères, Bedeaux prend une dose fatale (suicide ? Le dossier est ouvert). Son itinéraire passionnant méritait en tout cas d’être redécouvert.

Sylvain Bonnet

Thierry Lentz, Charles Bedeaux le magnifique, Perrin, mai 2024, 272 pages, 21 euros

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