La compagnie des bulles, ouverture d’une librairie

Niveau à bulles

En ces temps tristounets où les journaux télévisés sonnent souvent comme des marches funèbres, il n’est pas mauvais d’entendre une voix un peu optimiste. En l’occurrence, celle de Louis Ernoult, qui vient d’ouvrir il y a un mois une librairie de bande dessinée, La Compagnie des Bulles, 177-179 avenue de Versailles à Paris.  

Vous ouvrez une librairie de bandes dessinées quand les journaux ne cessent de parler de crise…

La librairie n’est pas un secteur en crise. J’ai même entendu, quand je me suis installé, des diffuseurs expliquer qu’ils avaient de plus en plus de travail à cause du nombre de librairies qui ouvrent dans Paris. Les librairies qui ont fermé, c’étaient celles dans lesquelles la presse occupait autant de place que les livres. Les librairies spécialisées vont bien.

Y compris, donc, les librairies de bandes dessinées : on estime à 5000-5500 le nombre de nouveaux titres publiés chaque année dans ce domaine. La production s’est diversifiée et peut donc toucher différents publics : l’album de 48 pages ou de 64 pages n’est plus la seule norme en vigueur.  Certains auteurs ne craignent pas de dépasser les 200 pages. Autrement dit, ce ne sont plus les auteurs qui doivent s’adapter à la bande dessinée, c’est la bande dessinée qui désormais s’adapte aux auteurs. 

Parmi les épais volumes, les adaptations d’œuvres littéraires. Elles sont très inégales. 1984, qui est tombé dans le domaine public l’année dernière, a dû donner lieu à une dizaine d’adaptations, et une seule sortait vraiment du lot, mais quand c’est le Japonais Gou Tanabe qui adapte Lovecraft, on se trouve face à une œuvre originale et digne d’attention. 

Peut-être convient-il de considérer ces adaptations comme une introduction à la lecture des œuvres originales. J’ai vu une dame qui n’avait pas réussi à lire le roman Abattoir 5 de Kurt Vonnegut acheter le roman graphique de Ryan North et Albert Monteys en se disant qu’il lui serait peut-être plus accessible.

Êtes-vous en train de dire que, finalement, vous ne prenez pas beaucoup de risques en ouvrant une librairie de bandes dessinées ?

Oui et non. Il m’a fallu faire beaucoup de travaux puisque j’ai repris un local qui était une très vieille parfumerie et qui a dû être entièrement repensé, mais le secteur de la librairie est aidé par de nombreux organismes, à commencer par le Centre National du Livre, et les diffuseurs favorisent l’implantation de nouvelles librairies en accordant des traites à six mois – voire neuf – au lieu de trois. Il y a en outre, pour les bandes dessinées comme pour les livres, le droit de retour. J’ai pu ainsi réduire mon stock de comics quand je me suis aperçu que j’avais sans doute vu un peu trop large de ce côté-là.

Qu’est-ce qui vous a fait ouvrir maintenant votre librairie de bandes dessinées et comment avez-vous choisi votre emplacement ?

Ma passion pour les bandes dessinées ne date pas d’hier. Elle a dû commencer avec Tom-Tom et Nana quand j’avais sept-huit ans. Mais j’étais juriste en entreprise et c’est, comme pour beaucoup, la parenthèse du Covid qui a déterminé ma reconversion. Je me suis accordé un an de réflexion au terme duquel je me suis dit : « « Après tout, pourquoi pas ? » J’ai fait un stage de formation de trois semaines à la librairie La Planète Dessin, rue Littré, pour bien vérifier que cette reconversion me plairait. Et j’ai pu constater que je ne m’étais pas trompé. Mais ma formation de juriste ne sera pas inutile dans ma nouvelle activité. Un peu de rigueur dans la gestion et dans les contrats n’est jamais malvenue !

Pour l’emplacement, j’avais initialement songé au VIIe arrondissement, mais le prix du mètre carré était prohibitif. J’ai choisi le XVIe Sud parce que c’était un quartier que je connaissais et que j’aime bien, mais aussi parce que c’était un quartier où il n’y avait pas de librairies de bandes dessinées. On ne saurait en dire autant du quartier des Batignolles, par exemple ! Il y a une librairie à deux cents mètres de la mienne, mais elle vend très peu de bandes dessinées, et encore, uniquement des bandes dessinées pour enfants. Et la FNAC BeauGrenelle et la FNAC de Boulogne sont assez loin !

Nous comptons de toute façon faire venir jusqu’à nous des habitants d’autres arrondissements que le XVIe Sud en organisant à partir de janvier des séances de signatures (une fois que nous aurons passé le cap décisif de Noël !).

La population du XVIe arrondissement n’est-elle pas en moyenne un peu trop âgée pour s’intéresser aux bandes dessinées ?

L’intérêt porté à la bande dessinée par une partie du public relève de la nostalgie. Les gens qui veulent lire des Lefranc ou des Alix sont des gens d’un certain âge. Et puis, j’ai vu des clients me dire : « Je vais revenir avec mes petits-enfants. » Je ne désespère pas, de toute façon, d’amener certains grands-parents à lire eux-mêmes des bandes dessinées.

Personnellement, mes goûts me portent vers la bande dessinée franco-belge. Je vais devoir me mettre au manga, mais il ne faut pas croire que seuls les mangas intéressent les jeunes. C’est sans doute par là qu’ils commencent, mais ils ne manquent pas d’élargir leur horizon vers l’âge de vingt ans, d’autant plus que les nouveaux auteurs français de bandes dessinées ont été influencés par les mangas. 

Vous avez mis en vitrine quelques figurines. Comptez-vous accorder une place importante au merchandising ? 

Non. L’avantage de ces figurines, c’est qu’elles ne sont pas soumises comme les livres à un prix fixe et qu’elles nous apportent donc un petit « plus ». Mais il n’est pas question pour moi d’élargir mon activité aux jeux vidéo, qui restent, je pense, la propriété des plates-formes. Et je crois que les vrais passionnés n’achètent pas leurs bandes dessinées sur Amazon. Ils préfèrent venir les chercher dans les librairies.

Pourra-t-on s’asseoir et feuilleter tranquillement des albums dans votre librairie, comme on peut le faire dans nombre de librairies anglo-saxonnes ?

Vaste débat ! Je suis personnellement assez favorable à cette conception de la librairie, et j’attends d’ailleurs qu’on me livre deux fauteuils à l’intention des clients, mais certains confrères sont d’un avis farouchement contraire. Ils vous expliqueront que le prix du mètre carré à Paris ne permet pas de faire de leur librairie un salon… Cela dit, on voit se développer en province les librairies-cafés, et il y en a au moins une à Paris près de la République. 

Trois titres pour convertir des profanes à la bande dessinée ?

 Les Indes fourbes, scénario d’Alain Ayroles et dessins de Juanjo Guarnido. Une histoire qui se passe en Espagne et en Amérique du Sud au XVIe siècle.

La Bibliomule de Cordoue, de Wilfrid Lupano. L’action se passe en 976, à une époque où Cordoue était l’une des capitales du savoir.

Le Monde sans fin, de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. Rencontre d’un auteur de bandes dessinées et d’un spécialiste du climat sur le présent et l’avenir de notre planète.

Propos recueillis par FAL

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