La croisade des innocents : Chloé Cruchaudet en quête !


Sorti à l’automne dans l’excellente collection Noctambule (voir ici une autre critique d’un titre de cette belle série), le nouveau roman graphique de Chloé Cruchaudet réussit une gageure : nous surprendre et nous émouvoir.

La Croisade des innocents nous embarque justement par surprise sur des chemins peu prisés des dessinateurs. La quête historique et la religion dans un album faussement dédié à la jeunesse.

Un moyen-âge cruel vu à hauteur d’enfants

Car en suivant les aventures de Colas, les lecteurs découvrent la cruelle réalité du monde médiéval. Taillée pour la survie, cette époque est dure. Elle est le réceptacle d’un monde sans compassion et sans repos pour les enfants. À l’innocence perdue d’avance…

Malgré tout, contraint de fuir en plein hiver sa ferme normande, le petit Colas va trouver une vraie quête à son errance. Tomber sur une fabrique qui exploitent des enfants, il fomente une évasion. Début, de ce qui sera une croisade inédite. La croisade des innocents.

à la ferme, le drame couve

L’innocence… au début

Alors, quand Colas croit apercevoir un Christ en croix sous un lac gelé, son ami Camille entrevoit mieux que la fuite… la quête ! Portés selon leurs convictions, ces petits d’hommes et ces petites filles, découvrent l’exaltation. Doublement même. Un souffle de liberté déjà. Une foi bourgeonnante parfois. Sans adultes pour les martyriser, sans misère crasse pour les entraver, surtout. Car la rapine à inaugurer la croisade. En volant leur horrible maître, ils ont des réserves pour voir venir l’hiver. Croient-ils.

en « quête », à tout prix ?

Les belles saisons, comme une aventure

Mais, avec le printemps, puis l’été, les belles saisons font plus que transformer leur périple. Pris au jeu de son rôle de prophète innocent, Colas attire à lui la bonne rumeur. Celle qui fait venir à lui des dons lors des quêtes dans les villages et les cités. Et surtout, une ribambelle de mioches, de gamins, de rejetons qui fuient à qui mieux mieux leurs sorts pour un rêve presque magique : Jérusalem !

Et le miracle de jouer à cache cache. Les grands, ou les presque grands, tentent bien de semer la discorde. L’âpreté, la convoitise, la rivalité et la malice, le désir même. Mais ils servent finalement la flopée qui a tant grossie. Un théâtre est même créé. Pour faire accroire aux bonnes gens, comme aux marmots, de la justesse de la croisade. De la piété qui habite son chemin.

Difficile le chemin, et dure la chute

Même habité des meilleures intentions, persuadé de son rôle de guide, Colas va vite désespéré. Automne et hiver sont des bornes trop âpres. Une confrontation de nouveau à la faim et à la misère brute. Aux pulsions folles. Pillages, vols, peurs. Les villes se recroquevillent. Et les esprits chavirent. Surtout, la supercherie ou la crédulité ne font plus une bonne compagnie.

Et après le chaos, les groupes se désagrègent. Les derniers fidèles échouent, littéralement, sur les rivages de la mer convoitée. Avec l’espoir fou d’une dernière et définitive échappée. La libération, oui, mais pas de Jérusalem…

L’Histoire pour credo, les histoires comme guides

En effet, la croisade des innocents, appelée aussi la « croisade des enfants » part d’un fait historique. En 1212, venus des quatre coins des terres qui composent et entourent le royaume de France de l’époque, des enfants, convergent vers les ports de méditerranée. Même si les chroniqueurs ont collecté des versions contradictoires (le terme enfant « pueri » serait à prendre au sens d’ « enfant de dieu »), il est avéré de l’existence d’un vaste mouvement de foi qui emporta ainsi les gens du peuple, les gens de peu, en familles entières.

Aussi, la version de Chloé Cruchaudet apporte une vision douce amère aussi digne de foi que bien des récits historiques. Surtout, la beauté des dessins, des versions sépia, ou les passages en couleur en hommage à l’art du vitrail, portent la fable au niveau espéré. Faire ressentir l’innocence des enfants et la piété de la quête. Seul contrepoint possible à la violence du monde pour eux. À la violence de l’âge adulte, bientôt. Quand ils survivent…

Grâce lui soit rendue, car rares sont les auteurs capables de toucher du doigt la fragilité et la brutalité en même temps. Révérence et chapeau bas, ma Dame.

Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus, et tant aimés. Ils sont trop clairsemés. Je crois le vent les a ôtés. (Rutebeuf, XIIIe siècle, La complainte [extrait])

Marc Olivier Amblard

Chloé Cruchaudet, La Croisade des innocents, Soleil, « Noctambule », octobre 2018, 19,99 eur

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