Habemus papam — Saint Pierre, une menace pour l’Empire romain

bulles du pape

Premier volume d’une série (coédition Glénat-Cerf) qui s’annonce comme un grand tractatus theologico-politicus, la biographie de saint Pierre, premier évêque de Rome, dessinée par Marc Jailloux sur un scénario de Patrice Perna.

Il n’y aura pas autant d’albums qu’il y a eu d’évêques de Rome depuis saint Pierre — 266 ! — dans la série de biographies en bande dessinée « Un pape dans l’histoire » : comme son titre l’indique, cette série sera consacrée uniquement aux papes dont les noms restent associés à des périodes marquantes. Il y aura par exemple un volume sur Pie VII (et sur ses rapports avec Napoléon), un autre sur Pie XII (et sur son attitude face au nazisme), et bien d’autres encore, mais il est évident qu’il fallait commencer par le commencement, autrement dit par le rocher sur lequel Jésus avait décidé de bâtir son Église. Rappelons en effet que, contrairement à une opinion assez répandue, il n’y a pas de jeu de mots dans la formule « Tu es Pierre, et sur cette pierre… », mais une simple métaphore : Jésus surnomma « pierre » (avec un -p minuscule) son disciple Simon pour lui dire qu’il était le roc qui servirait de fondement à son assemblée — à son Église. Et, de fait, Simon-Pierre est présenté dans les textes religieux comme l’apôtre le plus important. Son surnom est devenu nom.

C’est cet aspect des choses que le scénario de l’album Saint Pierre, dû à Patrice Perna, entend très logiquement souligner. Au point, même, d’introduire volontairement une certaine confusion : cet homme crucifié qui s’écrie, page 3 : « Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? », n’est-ce pas Jésus ? Eh bien, non, ce n’est pas Jésus, c’est Pierre. Licence poétique, puisque rien n’atteste que celui-ci ait reproduit au moment de mourir l’interrogation de Jésus, mais licence poétique assumée : un peu plus loin, Marcellus, le centurion romain chargé de procéder à son exécution, exprimera son étonnement en lui demandant : « Pierre… Tu parles comme Lui.Qui es-tu vraiment ? »

Ce Saint Pierre se compose donc d’une série de flashbacks qui sont surtout l’occasion, par le truchement de la mémoire de Pierre, de représenter certains épisodes célèbres de la vie du Christ : voici Jésus  soignant des malades (y compris parmi les impies), exorcisant des possédés, marchant sur les eaux… Pierre, dans cette affaire, est le témoin — le garant, donc, de ces miracles, mais avec les limites associées au statut de témoin : lui aussi, nous dit-on, a réalisé un certain nombre de miracles, ce qui justifie la « confusion d’identité » que nous évoquions, mais nous ne le voyons jamais agir,jamais convertir, ou simplement convaincre lui-même qui que ce soit. 

D’où un certain sentiment de frustration chez le lecteur : le titre de la collection, « Un pape dans l’histoire » comme nous l’avons dit, et, plus encore, le sous-titre de cet album, « Une menace pour l’Empire romain », laissaient attendre quelque chose d’un peu plus dynamique. Des poursuites impitoyables ? des chevauchées fantastiques ? Non, bien sûr. Mais au moins quelques séquences montrant en quoi les chrétiens pouvaient représenter un danger pour Néron, puisque c’est sous Néron que Pierre a été exécuté.

Pour être exact, il y a bien un prologue de deux pages qui, reprenant textuellement un passage des Annales de Tacite, explique que Néron a voulu calmer les esprits échauffés par l’incendie qui détruisit en 64 les deux tiers de Rome en imputant la responsabilité de cette catastrophe aux chrétiens et en faisant de ceux-ci des boucs émissaires. Mais le passage de Tacite n’est pas d’une clarté cristalline, au point que certains commentateurs ont pu soupçonner une interpolation tardive, et, quoi qu’il en soit, même si l’on admet qu’il y a bien eu manipulation cynique de l’opinion par le pouvoir en place, il eût fallu, à un moment ou à un autre, faire apparaître concrètementNéron dans le récit. Il y a, certes, pour combler cette lacune, un « dossier documentaire » donné en annexe à la fin de l’ouvrage, et dû à Bernard Lecomte, conseiller historique de l’ensemble de la collection, mais les profanes auront sans doute intérêt à le lire avant de se plonger dans la bande dessinée proprement dite.

Pour être parfaitementexact, il y a dans celle-ci un représentant du pouvoir romain en la personne du centurion Marcellus que nous avons déjà nommé, mais c’est une figure qui ne laisse pas d’être quelque peu problématique. Marcellus est à deux doigts d’épouser la cause des chrétiens puisque son jeune fils fait partie de ces malades incurables à qui Jésus a su rendre la santé, mais Marcellus a peur. S’il amorce à plusieurs reprises un geste ou une parole destinés à diminuer le supplice de Pierre cloué sur sa croix, il se renie tout autant que celui-ci l’avait fait et affirme son mépris des chrétiens chaque fois qu’un autre Romain passe à proximité. N’allons pas dire, comme Pascal, qu’il convient de cautionner uniquement les religions dont les témoins se font égorger, mais une chose est sûre : ce Marcellus semble être bien trop pleutre pour jamais être un martyr.

Si l’on veut de la transcendance, c’est dans les dessins de Marc Jailloux qu’il la faudra trouver. Saluons d’abord la manière dont son style, ici, n’a pas grand-chose à voir avec celui, hérité de Jacques Martin, que nous lui connaissons dans ses Alix. La ligne est nettement moins claire et l’inspiration, dès la couverture — surtout sur la couverture — doit beaucoup au Caravage, dont il est à juste titre un fervent admirateur. Point d’effets à proprement parler spectaculaires, mais un certain nombre d’enchâssements de vignettes dans des vignettes, qui sont comme une mise en abyme de l’écho Jésus/Pierre, et un traitement quasi-identique des séquences réalistes et de celles qui relèvent simplement du souvenir : entre ici-bas et là-haut, la frontière n’est peut-être pas si grande.

FAL

Patrice Perna (scénario) et Marc Jailloux (dessins), Saint Pierre – Une menace pour l’Empire romain, Glénat/Cerf, avril 2019, 14,95 euros.

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