La Revanche des mortes vivantes, le classique nanar du cinéma gore français

Le roman de Reinhard

VOD, téléchargement… Malgré leur mort mille fois annoncée, le DVD et le Blu-ray ont la vie dure, certaines sociétés indépendantes sortant jusqu’à quinze titres nouveaux chaque mois ! Production inégale, bien sûr. Mais la nostalgie qui l’accompagne et tous les bonus qui viennent à la rescousse contribuent souvent à faire du film de base un véritable document. Même lorsqu’il s’intitule La Revanche des mortes vivantes.

Si vos références cinématographiques se nomment Marguerite Duras, Ozu ou Truffaut, il y a fort peu de chances pour que vous vous enthousiasmiez pour La Revanche des mortes vivantes, même si son réalisateur, Pierre B. Reinhard, explique qu’il s’est formé au cinéma en passant des après-midi entières à la cinémathèque de Chaillot (sans payer : son père était un ancien camarade de classe du légendaire Henri Langlois).

Comme son titre l’indique, cette Revanche est un échantillon de ce qu’on appelait il y a trente ans « cinéma bis », avec toutes les limites que cela suppose. Scénario d’une rigueur très approximative, puisqu’il était arrivé en seconde position dans la conception du film (la première condition était qu’il fallait situer l’intrigue dans la région du Mans, une directrice de casting « locale » ayant proposé un certain nombre de décors, dont celui du cimetière du village, pour un prix avantageux) ; ruptures de continuité repérables à trois cents mètres dans le brouillard (la même main, horriblement gangrénée dans un plan, se retrouve dans le plan suivant aussi fraîche et aussi lisse que celle d’un bébé Cadum) ; outrances dans des scènes gore qui seraient parfaitement insupportables si leur outrance même ne leur conférait souvent l’espèce de poésie naïve qui devait être jadis celle du Grand-Guignol et qui justifierait presque les protestations étonnées de Reinhard contre l’interdiction aux moins de dix-huit ans dont son film avait fait initialement l’objet.

Mais ce n’est pas seulement ce film, c’est l’ensemble du Blu-ray (ou du DVD) qui vient d’être édité par l’éditeur Le Chat qui fume qu’il convient de regarder. En commençant par les bonus, au moins par la longue interview du réalisateur. Reinhard raconte comment, suivant au départ les cours des Beaux-Arts, il s’est petit à petit retrouvé à travailler dans une salle de montage ; comment la rencontre avec un producteur et les difficultés d’une maison de production l’ont amené à réaliser un premier film X, qui allait être suivi de plusieurs centaines d’autres (personne, pas même l’intéressé, n’est en mesure d’établir une filmographie définitive de Reinhard…) ; comment l’arrivée des socialistes en 1981 et leur volonté (paradoxale ?) d’appliquer les lois de manière bien plus stricte qu’on ne le faisait sous Giscard ont fait qu’il vit ses revenus divisés par quarante en l’espace d’une année ; comment son travail devint de plus en plus problématique, les budgets ne cessant de diminuer.

Évidemment, il s’agit là, dira-t-on, d’un secteur très particulier du cinéma, mais à maints égards son évolution n’est que le reflet de l’évolution du cinéma français en général au cours des trois dernières décennies : mainmise des chaînes de télévision sur l’ensemble de la production cinématographique ; remplacement de la pellicule 35mm par le numérique… Reinhard explique qu’il a fallu longtemps au monteur qu’il a toujours été pour accepter l’idée qu’on ne montait pas, qu’on ne montait plus un film avec des ciseaux et du scotch devant une moviola.

Et donc, après avoir vu ce bonus et un ou deux autres, où est évoquée la figure du responsable des effets spéciaux Benoît Lestang, disparu prématurément il y a dix ans – disparition que son sourire et son humour de tous les instants ne pouvaient laisser prévoir —, après ce premier voyage dans le passé, on peut regarder La Revanche des mortes vivantes. Encore une fois, il n’est pas interdit de rire, sinon de ricaner, face au grotesque de certaines scènes, mais ces images de vieilles voitures cabossées, ces séquences « chaudes » classées Y à défaut d’être classées X, ces plans de tombes sont comme la mise en abyme du film lui-même (ou peut-être faudrait-il dire l’inverse ?). Il y a dans tout cela un parfum de « fin de partie », une conclusion inattendue (et supprimée dans certaines versions, pour ne pas irriter les amateurs du genre) venant d’ailleurs « déconstruire » la nature fantastique de l’histoire. Reinhard est né en Suisse : s’il aime beaucoup les distorsions du fantasmatique Manuscrit trouvé à Saragosse du Polonais Wojciech Has (dont il a pu s’inspirer à l’occasion), s’il aime surprendre, désarçonner le spectateur, il entend le faire en gardant dans ses films la rigueur cartésienne des montres qui font encore aujourd’hui la gloire de son pays natal.

Et c’est cette « exigence » qui fait que le monde en décomposition de cette Revanche des mortes vivantes a des aspects étrangement contemporains. On sait à quel point les zombies sont revenus aujourd’hui à la mode au cinéma, y compris dans des productions gigantesques, starring Brad Pitt. Cette Revanche nous aide à mieux comprendre cette résurgence, pour ne pas dire cette résurrection. Un carton final interdit formellement au spectateur de gâcher le plaisir de son prochain en lui racontant le film. Disons simplement que, vraies ou fausses, ces mortes vivantes sont intimement associées à une affaire de déchets toxiques liquidés d’une manière pour le moins désinvolte dans une laiterie industrielle. Il y a, nous l’avons dit, beaucoup de sang dans cette Revanche, mais tous les écolos qui la verront boiront du petit lait.

FAL

La Revanche des mortes-vivantes, un film de Pierre R. Reinhard, ré-édition limitée à 1000 exemplaires, Le Chat qui Fume, mars 2019, 22 eur

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