La verticale de la peur, la Russie et ses démons

L’incompréhension

L’invasion de l’Ukraine par la Russie suscite l’incompréhension de l’Europe sur un point majeur : comment le peuple et les élites russes acquiescent-elles à la politique autoritaire menée par Vladimir Poutine ? Sociologue, spécialiste de la Russie où il a longtemps séjourné (avant d’en être expulsé dans des conditions très particulières), Gilles Favarel-Garrigues, déjà auteur de La police des mœurs de l’URSS à la Russie (CNRS, 2007), met en évidence ici un phénomène peu connu mais prégnant en Russie, la « dictature de la loi ».

Une société régie par la peur

À la lecture du livre on découvre une société russe où règne la peur. Peur de la pauvreté, peur du déclassement, peur de l’insécurité. Et cela peut se comprendre quand on a en mémoire la désastreuse décennie 1990 qui a vu l’effondrement de l’économie russe, victime d’une thérapie de choc ultralibérale et aussi des conséquences de soixante-dix ans de communisme. Poutine s’est imposé par la restauration de l’autorité puis par son autoritarisme qui irrigue la société russe, en demande d’intransigeance. C’est ainsi que s’est imposé la dictature de la loi. Car les tribunaux fonctionnent en Russie et les prisons sont remplies. La police, qu’on sait souvent corrompue, arrête sans cesse des hommes d’affaires, des journalistes (qu’on mêle à d’imaginaires trafics de drogue) et la justice condamne. La société russe est en fait plongée dans une surenchère permanente de demande de justice.

Repli sur soi

Au fond, cette dictature de la loi encourage aussi des radicaux et des extrémistes de droite à exercer leur justice dans les rues. Contre les alcooliques, les caucasiens, les homosexuels. Ces derniers suscitent un grand nombre de fantasmes et la propagande anti-homosexuelle (et son corollaire, la lutte contre les pédophiles) sert Poutine. Les médias peignent un occident décadent où les homosexuels imposent leur ordre et où la pédophilie est tolérée. En face la Russie doit rester pure, accrochée à la fois à la religion orthodoxe, à la morale et à la nostalgie de l’empire soviétique. La peur sert à légitimer la guerre en Ukraine et la lutte contre l’Occident et ses soi-disant « esclaves » comme Navalny.

La Verticale de la peur dresse un portrait glaçant du régime de Poutine.

Sylvain Bonnet

Gilles Favarel-Garrigues, La Verticale de la peur, La découverte, mars 2023, 240 pages, 19,50 euros

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