Racée, contre l’esprit du temps

Une femme de talents

Juriste, actrice, essayiste, scénariste, Rachel Kahn a eu jusqu’ici une vie plutôt bien remplie. Co-auteure de l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier qui a donné ensuite naissance à un documentaire, Pygmalionnes. Le but alors était simple : dénoncer les discriminations et les stéréotypes visant les femmes noires au cinéma et à la télévision. Une entreprise louable donc, sauf pour quelques identitaires d’extrême-droite. Sauf qu’il a donné lieu à des dérives que dénonce Rachel Kahn dans Racée, paru originellement chez les éditions de l’observatoire et repris en poche dans la collection Alpha d’Humensis.

Des origines et des mots

Rachel Kahn a des origines très différentes : son père est gambien, donc africain et sa mère est française d’origine juive polonaise. Elle est donc une énigme pour ceux qu’on pourrait qualifier de post-coloniaux ou afro-descendants, voire « woke » : des mots et des appellations dont elle se méfie à juste titre. Dans Racée, elle critique ces mots qui séparent – racisé, afro-descendant, etc… – et les mots qui ne vont nulle part comme diversité, mixité ou vivre ensemble et pour ce dernier, je me permets une remarque personnelle : avant on vivait ensemble alors qu’aujourd’hui on utilise ce mot valise à un moment où chacun vit de son côté, dans l’affirmation de son identité.

Et l’essai de Rachel Kahn est précieux. Il identifie bien les dérives de certains (pseudo) idéologues victimaires qui tracent des frontières entre les gens, un peu à l’image de ces planteurs sudistes ou antillais. On ne peut ainsi jouer le rôle d’un esclave que si on est soi-même descendant d’esclave : raisonnement dangereux qui nie le travail de l’acteur ou de l’actrice et rend caduc le principe d’universalité. Et il faut se méfier des obsessions identitaires : souvenons-nous d’une certaine Allemagne obsédée par le sang et l’impureté juive, qui comptait le nombre d’ascendants juifs de ses « mischlinge »…

Afro-yiddish (j’adore), Rachel Kahn a beaucoup réfléchi sur nos dérives contemporaines. Racée est un ouvrage de notre temps, utile à la réflexion critique.

Sylvain Bonnet

Rachel Kahn, Racée, Alpha, préface d’Eric Dupond-Moretti, mars 2022, 176 pages, 6 euros

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