« Le Brio », interview exclusive d’Yvan Attal
S’il est bien un sujet qui a disparu des médias et même des conversations, c’est l’éloquence. Le bien parler. Employé les mots justes, les formules adéquates. La langue française se révèle suffisamment riche pour que l’on ne se contente pas d’employer à tout bout de champ les mêmes termes… Tel est l’un des sujets du film d’Yvan Attal, Le Brio.
À travers l’histoire d’une jeune femme des banlieues confrontée à un professeur de la Sorbonne un rien rétrograde, il nous parle d’une langue qui est censée nous être chère mais aussi du courage, de la victimisation, du racisme, de l’entraide et, plus largement, des travers de l’école actuelle.
Rencontre avec Yvan Attal, le réalisateur du film Le Brio
D’où vous vient l’histoire du film « Le Brio » ?
D’une certaine manière, c’est mon histoire. J’ai grandi en banlieue, à Créteil – d’ailleurs dans une cité à côté de celle où on a tourné – dans une famille qui ne m’a pas donné des livres à lire ni amené à l’opéra. J’ai eu envie de faire l’acteur… pour des raisons mystérieuses. En arrivant dans un cours de théâtre, tout à coup j’ai découvert les auteurs qui me faisaient chier au lycée. Et ces auteurs-là m’ont ouvert à des choses pour lesquelles je n’étais pas prédestiné. Le film parle de ça.
Pour vous quel est en le sujet central du film ?
Le déterminisme. Le fait que l’on n’est pas obligé de rester les pieds cloués à l’endroit où on est. Certes, les choses peuvent être difficiles – parfois de par le nom qu’on porte – mais ce n’est pas une raison pour brandir une carte de victime toute la journée.
Comment s’armer autrement que par le langage, les mots ? Grâce eux se forment la pensée, la réflexion. Ils nous aident à nous remettre en question. »
Le fait que ce sujet soit intégré dans une défense de la langue français n’est pas anodin ?
Pas du tout. C’est un film chauvin ! Dans le bon sens du terme. C’est un film qui dit aussi aux jeunes qui brandissent cette carte que l’on vit dans un pays extraordinaire dont on peut prendre l’héritage. Les livres sont à notre disposition ; les auteurs, on peut en parler avec les professeurs. Pourquoi ne pas aller vers ça et préférer rester replié sur soi ?
« Le Brio », c’est un film sur le langage aussi ?
Le langage est l’arme la plus importante. Comment s’armer autrement que par le langage, les mots ? Grâce eux se forment la pensée, la réflexion. Ils nous aident à nous remettre en question. C’est tout ça le langage.
Vous croyez à la puissance des mots ?
Oui. Plus exactement à la puissance du langage. Aujourd’hui, nous sommes dans un pays où l’on s’exprime avec un nombre de caractères limité, avec des lol et des mdr. Tout ça pour dire des conneries. Quand on prend le temps de s’exprimer, on peut faire évoluer les choses. On ne va pas pouvoir rester très longtemps qu’avec lol et mdr.
La présence d’un mentor vous a marqué dans votre parcours ?
J’ai eu un professeur de théâtre qui s’appelait Raymond Aquaviva [cours Florent, Ndr] dont les cours m’ont touché, m’ont changé. Avec des moments aussi où on m’a brutalisé, on m’a humilié mais c’est à nous de comprendre s’il faut accepter ou rejeter. Tout n’est pas bon à prendre, il faut savoir se protéger comme il faut savoir écouter pour avancer.
Avez-vous assisté à des concours d’éloquence ?
J’ai été bien obligé pour savoir de quoi je parlais ! On m’avait proposé plusieurs fois d’y participer mais j’ai toujours été effrayé et je n’y suis jamais allé. Là, j’y suis allé comme auditeur, non comme participant. Il faut savoir que les sujets sont donnés à l’avance alors que je croyais que c’était une éloquence spontanée. En fait, ils ont du temps pour préparer. Mais plus ils avancent dans l’épreuve, plus ce temps est réduit. Lors de la finale c’est à peine quelques heures. Tout ceci implique les références, la culture, comme un avocat qui plaide.
Comment la faculté d’Assas a-t-elle réagi quand vous leur avez présenté le sujet ?
Ils ont très bien réagi. Ils nous ont accueillis les bras ouverts. Je tenais à Assas même si cet établissement a une réputation un peu sulfureuse. Mettre une fille pas tout à fait blanche dans une fac de réputation très blanche et très adroite était une décision pensée. Et puis il me fallait ces locaux… Ceci dit, j’ai tourné quelques scènes dans d’autres facs où il valait mieux ne pas être blanc. Nanterre, c’est l’exact opposé d’Assas !
La mauvaise réputation d’Assas est-elle toujours justifiée ?
Je ne crois pas. Tout ça appartenait à une autre époque… Dans ma jeunesse un peu agitée, il m’est arrivé plus d’une fois de débouler à Assas pour « casser » de l’étudiant facho.
Propos recueillis par Philippe Durant
Le Brio
D’Yvan Attal
Avec Daniel Auteuil et Camélia Jordana
1h35 – sortie le 22 novembre