Le Livre de mes rêves de Federico Fellini
Voici un ouvrage comme nul autre
Il parle de cinéma mais s’envole bien au-delà, suivant les songes des nuits d’été et les singes des nuits d’hiver. Un livre fellinien – puisque le mot est désormais entré dans le langage courant – à l’image de son auteur : baroque et foisonnant, enivrant et enrichissant. Car le maestro compte parmi les très rares cinéastes a avoir créé un univers au sein du septième art. Plus exactement, il a importé son propre univers au sein des images animées. Avant lui, il y eut Charles Chaplin ; après lui, il y aura Tim Burton.
Toutefois, pour comprendre cet univers, visionner les films ne suffit pas. Il manque un élément essentiel : ce Livre de mes rêves. À partir de l’âge de 40 ans, Fellini – cinéaste déjà adulé par La Dolce Vita – se met à coucher ses rêves sur le papier, commençant par des dessins avant d’y ajouter des textes faussement explicatifs.
« Rêver, c’est vivre »
La vraie question est : sont-ce d’authentiques rêves ou des relents d’images qui traversent l’esprit du maître ? Peu importe. Rêves éveillés ou rêves endormis, ils forment une incroyable fantasmagorie.
Dans l’une des préfaces, Gian Piero Brunetta explique avec justesse : « Le Livre de mes rêves est quelque chose d’unique et d’exceptionnel dans l’histoire du cinéma et même au-delà, une clef offerte par Fellini pour nous donner libre accès aux recoins les plus secrets et les plus intimes de sa créativité. »
Grâce à cet ouvrage, va-t-on mieux comprendre l’œuvre de Federico ? Non ! Faut pas rêver !… Son importance est plus précieuse : il nous permet de pénétrer en profondeur dans son monde, d’en mieux apprécier les contours, les flamboyances, les mille et une facettes. Ce n’est pas un guide mais un prolongement du voyage ou, si vous n’avez pas vu ses films, une saine préparation. Livre et films deviennent dès lors indispensables car complémentaires.
Comment entrer dans ces rêves ?
Si je dois donner un conseil au lecteur c’est d’effectuer le travail en deux temps.
D’abord feuilleter. Se laisser imprégner par les dessins qui forment un kaléidoscope géant et fascinant. On est attiré par certains, on EN survole d’autres. Et déjà, on vient d’entrer dans un autre espace. Nous ne sommes plus avec Fellini, ni même chez Fellini mais dans Fellini. Dans son esprit sans cesse en ébullition et dans ses idées qui se bousculent, parfois futiles, parfois tragiques, toujours marquées du sceau de la vie… et de son prolongement, la mort. Rien qu’à travers ces dessins tout Fellini est là. Le maestro est avec nous.
Ensuite lire les textes. Ceux écrits en italien si vous maitrisez la langue de Dante ou, plus prosaïquement, leurs traductions regroupées en fin de volume. Des phrases qui partent dans tous les sens mais aussi des réflexions pertinentes avec, toujours, un œil sur le monde qui l’entoure et le cinéma qui l’accapare. Des noms virevoltent, de Sophia Loren à Marcello Mastroianni, d’Anita Ekberg à Ugo Tognazzi. Sans oublier le pilier de ce livre, l’obsession amoureuse de Fellini : la fragile Giuletta Masina qui trouva pourtant la force d’épauler Federico tout au long de sa carrière.
Un livre indispensable
Il est facile de dire que ce livre est indispensable pour tout amateur de l’œuvre de Fellini. Une fois qu’on le tient entre ses mains, il devient indispensable. J’écris cela avec d’autant plus de sérénité que je ne suis pas un fan de tous les films du maestro. Si je devais choisir un seul cinéaste italien, j’hésiterai entre Sergio Leone et Luchino Visconti. Pourtant, après avoir lui cet épais ouvrage, je me suis senti plus proche de Fellini et j’ai (enfin) compris que ses exubérances n’avaient rien de tape-à-l’œil mais correspondaient à des sentiments qui le hantaient ou le réjouissaient.
Nous rêvons tous. Mais Fellini a transformé ses rêves en spectacles grandioses. Il les a fait exploser de l’intérieur pour mieux les partager, pour mieux nous en faire profiter. Nous avons tous en nous des éclats des rêves de Fellini… Du moins, je l’espère.
Ce livre est une réédition (augmentée) de l’édition de 2007. Avec un texte inédit de Daniel Pennac.
Philippe Durant
Federico Fellini, Le Livre de mes rêves, Flammarion, janvier 2021, 583 pages, 45 eur