Le Livre de la rentrée, Luc Chomarat contre le monde de l’édition
Mission récurrente pour un éditeur, trouver le livre qui va se vendre. En période de rentrée littéraire, ça se complique, c’est le livre qui va se vendre parmi tous ceux qui vont s’agglutiner au portillon des critiques littéraires influents et des jurés de prix littéraires réputés. Comment écrire un roman sur la chercher du roman tout en proposant une critique du monde de l’édition ? C’est la mission réussie, avec le talent habituel et la dérision tout pareille de Luc Chomarat, avec Le Livre de la rentrée.
Un auteur concerné
Comment réussir le coup de la rentrée ? Décider l’auteur à succès de la maison à enfin publier le texte tant attendu. Ainsi Delafeuille, l’éditeur qui joue son poste, descend de Paris dans le sud pour retrouver Luc, cet auteur au talent salvateur. C’est d’abord sa belle épouse, Delphine, qui l’accueille et l’installe dans la chambre d’ami, puis le divertit sur la terrasse ensoleillée tandis que le grand écrivain joue les ermites dans son atelier. Ainsi commence une comédie de mœurs où les petits travers du milieu de l’édition vont servir à nourrir une pantalonnade de première catégorie.
A commencer par l’autodérision d’un auteur (Luc Chomarat) qui se glisse dans la peau de son personnage (Luc) pour plonger en abîme dans le travail de l’écriture, avec un adage sur la littérature qui mérite d’être enseigné : « Un bon texte est un texte qui se vend. » Bien sûr, lisez avec toute l’ironie possible, sur la création artistique, l’art, vs le business. L’époque est aux produits, aux normes, et Chomarat ne se prive pas de le rappeler, notamment on sent les griffes acérées contre les sensitive readers, stigmates d’un temps où la parole n’est plus libre. Delphine, la femme si belle de Luc, est une femme indépendante. Et les relations entre les hommes et les femmes, les œillades prohibées, la réserve qui est de mise et l’horreur des archétypes du mâle à l’ancienne… Et c’est pire encore quand l’écrivain homme écrit sur l’éternel sujet, sa muse femme ! « Publier un livre est devenu compliqué. Il y a tant de mots qu’on ne peut plus employer. Tant de thèmes qu’on ne peut plus aborder. » Ainsi Chomarat fait-il le portrait d’une époque qui voit la liberté d’exister artistiquement en déclin.
Le roman du roman de la rentrée
Le Livre de la rentrée est un roman à tiroirs, même si la mise en abîme s’abime un peu à être trop utilisée. Mais le procédé donne au roman sa tonalité et une partie de son attrait. Entre Paris et la province, entre le paraître et l’urgence de produire et la lenteur de l’artiste qui écrit. Être un éditeur soumis aux pressions commerciales et aux diktats du temps n’est pas de tout repos ! La vie est dure, Delafeuille, elle n’entend rien sinon l’obéissance à ses plus folles exigences… Mais aussi peut-être en lui la nostalgie d’avoir été un homme heureux, et la présence plus que séduisante de Delphine est une des raisons, non des moindres, de ses efforts auprès de Luc. Delphine, ce personnage de femme puissante naturellement, qui envoûte…
La nostalgie joue aussi pour la vie calme à la campagne contre la fausse effervescence parisienne, ou tout est joué. Delafeuille sert de passerelle entre les deux mondes, les deux vies, le réel et l’artificiel, le savoureux et le surfait. Et dire qu’il va chercher dans ce monde préservé de quoi se maintenir dans l’autre…
Il y a beaucoup de romans sur le milieu de l’édition, et la plupart choisissent l’ironie. Chomarat fait de même, et ajoute cette touche d’espièglerie qui est sa marque de fabrique. Et la charge contre l’édition, dans sa version la plus mercantile, est aussi réjouissante qu’effroyable. Certes, Luc (l’écrivain du roman) est misogyne. Certes, le roman qu’il consacre à sa femme est daté dans sa forme et dans sa morale. Certes, cependant, c’est un homme qui écrit très bien. Mais cette outrance d’un côté ne sert qu’à dénoncer celle de l’autre, la moraline, cette machine à produire des livres plutôt que des ouvres qu’est devenu l’édition. La charge est forte, mais pas dénuée d’une certaine nostalgie pour cette littérature qui fut.
Le Livre de la rentrée est tout sauf un livre de rentrée littéraire. Et Luc Chomarat l’espiègle est tout sauf un écrivain commercial.
Loïc Di Stefano
Luc Chomarat, Le Livre de la rentrée, La Manufacture du livre, août 2023, 240 pages, 19,90 euros