Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan

Une histoire vraie

Ron Stallworth est le premier Noir à avoir intégré la police de Colorado Springs (CSPD), et son caractère un peu franc-tireur le destinait à des missions non conventionnelles. D’abord cadet affecté à la circulation et à la paperasse, il ne cesse de questionner la brigade des Stups, dont les tenues décontractées et les missions le fascinent. Très rapidement, malgré un climat général de « racisme institutionnel », il se fait accepter, remarquer pour ses qualités, et avant le terme de sa période probatoire de quatre ans on l’intègre officiellement. Et il sera donc aussi le plus jeune agent à intégrer la CSPD. La première mission, son échauffement, mais aussi peut-être ce qui justifie de son intérêt dans l’équipe : infiltrer un meeting du Black Panther Party et « sentir » les risques (engagement militant, armement, etc.). Après cette réussite, et sur un coup de tête, il répond à une petite annonce locale pour l’ouverture du Bureau du Klan dans sa ville. Et c’est là que toute sa grande aventure commence : il va infiltrer le Ku Klux Klan !

 

« Tu seras le visage et moi, je serai la voix »

Ron Stallworth est noir. Comment infiltrer le Klan quand on est l’ennemi ? Tout se joue sur deux tableaux parallèles : Ron dirige les opérations, il parle avec les membres du Klan au téléphone, et même avec leur grand sorcier David Duke en personne (à qui non doit cette formule : « La pureté de la race, c’est la sécurité de l’Amérique »), et c’est Chuck, son partenaire, qui sera son avatar sur le terrain. Il leur faudra un travail colossal pour se coordonner, que chacun sache toujours tout de l’infiltration téléphonique ou physique et, pour ainsi dire, qu’ils ne fassent plus qu’un.

Cet improbable duo va réussir l’impensable. Quand Ron s’entretient avec les responsables locaux ou nationaux, il glane des informations et commence à comprendre la pensée politique de l’Organisation (ou la Cause, car en public on ne parle pas du KKK, écran de respectabilité oblige). Et comble, il va même prendre des responsabilités :

 

“Ron-Chuck” était bien parti pour devenir responsable de la section locale du Klan. C’était une excellente nouvelle pour l’enquête. En gravissant les échelons de la hiérarchie du Klan, nous aurions accès à plus d’informations. Et nous pourrions contourner les difficultés déontologiques en travaillant en étroite collaboration avec le bureau du procureur » (1)

 

Tout avait commencé comme pour faire une farce, quand il a répondu à une petite annonce de recrutement pour la branche locale du Klan qui s’installait… Il jouait le redneck frustré qui insultait tours les communautés non-blanches, surtout les« negros », devant ses collègues qui n’en pouvaient plus de rire.

Le Klan moderne n’a plus rien à voir avec celui du fondateur le Général Nathan Bedford Forrest et l’inspiration du film Birth of a Nation. C’est un parti politique policé, qui brigue des élections, même si ses membres n’en peuvent plus des « gros » et autres …

 

L’envers de l’Amérique

Tout ce qui touche au KKK est toujours sensible, par l’immensité des ramifications et l’influence encore réelle de la pensée ségrégationniste propre au Klan.

Cette enquête est une véritable plongée dans l’envers de l’Amérique, à une époque où les affrontements étaient nombreux. Nul n’en sort grandi, non pas le Klan bien sûr (même si la volonté de l’auteur de montrer que ses membres sont des crétins est un peu contre-productive), mais aussi l’extrême gauche étudiante prête à « écraser » l’ennemi, le Black Panther Party, les Black Muslims, les opposants mal organisés, etc. On découvre aussi des groupuscules connexes comme le Posse Comitatus, antigouvernemental et survivaliste, et autres joyeux nazis américains.

Point culminant de toute l’enquête : la venue à Colorado Springs de David Duke lui-même, pour la cérémonie d’intronisation des nouveaux membres dont « Ron-Chuck » et d’autres agents que plusieurs services mettaient à disposition pour multiplier les yeux et les oreilles au sein du Klan et ainsi contrecarrer toute éventuelle attaque ou action de quelque ampleur, éviter l’érection de croix de feu qui pourraient terroriser la population, etc.

 

 

 

Noir et encarté au KKK : quel parcours !

Alors que le Klan a utilisé à partir de son renouveau (1954) les techniques mêmes des Noirs pour obtenir des droits civiques : s’inscrire sur les listes électorales, être exemplaire, etc., tout en le combattant d’une manière tout à fait inédite, il a aussi fallu à Ron Stallworth se battre contre sa hiérarchie, les us et coutumes d’une police raciste, le regard d’une population pour le moins surprise de voir un policier noir, et même de sa propre communauté, car il est plutôt en tenue de « Starsky et Hutch » qu’en uniforme. Que de victoires obtenues dans une bonne humeur et une motivation constantes !

Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan n’est pas un document de première force sur le Klan et son histoire (on y croise quelques figures emblématique, mais on n’y apprend rien, ce qui, d’ailleurs, n’est pas son propos), mais le témoignage d’une incroyable farce pour ridiculiser ces suprémacistes blancs, même si l’auteur aurait gagné à mettre en avant son audace, sa chance ou son intelligence tactique plutôt que la prétendue bêtise des klansmen.

 

Loïc Di Stefano

Ron Stallworth, Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan, traduit de l’anglais (USA) par Nathalie Bru, Autrement, août 2018, 230 pages, 18 euros.

(1) Le risque de l’incitation pouvait rendre caduque toute la procédure.

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