« Le Paris de François Truffaut », entretien avec Philippe Lombard

Le miston de Paris

Truffaut-critique avait dit pis que pendre d’Audiard, mais l’ouvrage de Philippe Lombard Le Paris de François Truffaut trouvera naturellement sa place sur les étagères juste à côté de son Paris de Michel Audiard.

François Truffaut n’était pas d’accord avec le slogan publicitaire (partout présent dans les années soixante-dix) « Quand on aime la vie, on va au cinéma ». Mais non, rétorquait-il, c’est parce qu’on n’aime pas la vie qu’on va au cinéma.

Il est vrai que le mystère qui très longtemps plana sur sa naissance (la biographie de Truffaut par Antoine de Baecque et Serge Toubiana est largement centrée autour de sa recherche du père) dut contribuer à créer chez lui des rapports pour le moins conflictuels avec la « vie », autrement dit avec la réalité. Le cinéma de François Truffaut est souvent celui de « l’entre deux », pour ne pas dire du déchirement : Jeanne Moreau/Catherine prise entre Jules et Jim ; le « Continent » Jean-Pierre Léaud oscillant entre ses deux Anglaises ; le héros de La Peau douce balançant entre femme et maîtresse ; Montag quittant sa femme, dans Fahrenheit 451, pour s’allier à une institutrice… interprétée par la même comédienne, Julie Christie ; Catherine Deneuve prenant l’identité d’une autre dans La Sirène du Mississippi ; Catherine Deneuve, toujours elle, ballottée dans Le Dernier Métro entre Depardieu sur la scène du théâtre et Heinz Bennent dans les sous-solsLa réalité chez Truffaut est toujours double, et partant toujours porteuse d’une large part d’imagination.

Faut-il donc le croire quand il déclare que le point commun entre tous les cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est le réalisme ? Il a, c’est vrai, avec Godard, fait sortir la caméra des studios pour la poser dans la rue, puisque ‒ on a tendance à l’oublier ‒ il est l’auteur du scénario, ou tout au moins de l’idée de base du scénario d’À bout de souffle, mais c’est aussi lui, Truffaut, qui disait que le bonheur du cinéma était dans ce miracle qui fait que le héros n’est jamais coincé dans des embouteillages et trouve toujours une place juste devant chez lui pour garer sa voiture… Vous avez dit réalisme, vraiment ?

 

Sur le tournage de Baisers volés

 

Il suffit de feuilleter quelques pages du Paris de François Truffaut de Philippe Lombard pour constater cette ambiguïté. Lombard avait déjà commis l’année dernière un Paris de Michel Audiard d’excellente facture ; son Truffaut, tout aussi riche et tout aussi varié sans pour autant être dispersé, est peut-être plus séduisant encore dans la mesure où souvent s’en dégage, à propos de Paris et de ses lieux les plus connus, un sentiment inattendu d’étrangeté, une nostalgie légèrement inquiétante. Parce qu’on voit tous ces endroits à travers les yeux d’un détective privé ; parce qu’il n’y a plus aujourd’hui de 2CV ou de Dauphine garées le long des trottoirs ; parce qu’Antoine Doinel ne pourrait plus se cacher derrière un journal (un portable, c’est trop petit…) ; parce que les portillons automatiques du métro ont disparu, et les cabines téléphoniques aussi ; parce que telle bouche de métro a été en fait reconstituée en studio ; parce que Rome n’est plus dans Rome et Paris non plus… Parce que, en fait, même si, pour la clarté de l’exposé, Lombard distingue entre le Paris de l’enfant Truffaut et celui du cinéaste Truffaut, il montre aussi comment les deux constamment se croisent et s’entremêlent. Le cinéma de Truffaut n’a sans doute pas grand-chose à voir avec X-Files, mais, chez Truffaut aussi, la vérité est forcément ailleurs, et elle se nomme poésie.

Ne jamais oublier que, sous ses airs placides, il fut à sa manière l’un des artisans de Mai 68 ‒ très présent dans l’ouvrage ‒, puisque Mai 68 a commencé avec des manifestations pour soutenir Henri Langlois, ce conservateur de la Cinémathèque de Chaillot pour qui le monde se divisait en deux : ce qui était bon pour sa cinémathèque et ce qui ne l’était pas. Truffaut, qui participa activement à ces manifestations qui permirent finalement à Langlois de retrouver son poste après en avoir été viré, a été par son cinéma l’incarnation d’une des devises majeures de cet étrange mois ‒ L’imagination au pouvoir.

 

Sur le tournage de La Peau douce

 

Entretien avec Philppe Lombard

Boojum. Paris n’est-il pas aujourd’hui moins présent dans le cinéma français qu’il pouvait l’être il y a trente ou cinquante ans ? Et l’aspect nostalgique de votre ouvrage n’est-il pas de ce fait plus marqué ?

Philippe LOMBARD. Je me demande si l’un des derniers films mettant vraiment Paris en valeur, au même titre qu’un personnage, n’était pas Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet en 2001. Paris est encore très présent dans les grosses productions américaines (Minuit à Paris, Rush Hour 3, Inception, bientôt Mission : Impossible ‒ Fallout), mais leur approche est probablement différente.

Ce qu’il y a de merveilleux avec le cinéma, c’est le témoignage qu’il apporte sur les modes de vie, les lieux, les villes… Et les films de Truffaut sont de vrais documents sur le Paris « d’avant ». Je ne l’ai pas connu, mais je recoupe ce que je vois dans ces films (les autobus à plate-forme, les cinémas de quartier…) avec ce que me racontaient mes parents et mes grands-parents, et c’est passionnant.

 

 

L’affiche de Vivement dimanche ! représente la Tour Eiffel, symbole parisien par excellence, comme un instrument permettant d’assommer quelqu’un. La ville serait-elle pour Truffaut une entité nuisible ?

Je ne pense pas : c’était un vrai citadin, un Parisien dans l’âme. Pour lui, la tour Eiffel était une source d’inspiration. Quand il a quitté le quartier de son enfance (la place de Clichy, Pigalle…), il s’est installé dans des immeubles du XVIe arrondissement d’où il avait des vues imprenables sur le monument. Il en collectionnait les reproductions et on en voit souvent dans ses films (chez Dorothée dans L’Amour en fuite, dans le bureau de Catherine Deneuve dans Le Dernier Métro), et c’est l’une d’elles que Fanny Ardant utilise dans Vivement dimanche !

Paris ou Truffaut ? Le principe même de votre livre vous conduit à faire l’impasse sur des films tels que Fahrenheit 451, Adèle H. ou, pour une grande part, La Sirène du Mississippi…

Je n’écris pas une biographie de Truffaut ; je parle de son rapport à la capitale, autant dans sa vie que dans son œuvre (les deux sont de toute façon très liées). Mais Paris est cité même dans les films qui se déroulent ailleurs. Tout au long de La Sirène du Mississippi, Catherine Deneuve veut aller à Paris, mais Belmondo rechigne. Ce qui est drôle dans La Chambre verte ‒ qui n’est pas spécialement une comédie ! ‒, c’est que le personnage de Truffaut refuse de monter à Paris. « Je n’aime pas Paris, je suis un provincial », dit-il. C’est une boutade, mais c’est vrai aussi qu’après Domicile conjugal en 1970, il ne voulait plus tourner dans la capitale (le tournage avait été dur à cause de l’hiver, des embouteillages, des attroupements…). Les films suivants allaient être tournés à Montpellier (L’homme qui aimait les femmes), à Nice (La Nuit américaine), à Thiers (L’Argent de poche), à Guernesey (L’Histoire d’Adèle H.)… Le retour à Paris n’a eu lieu que pour L’Amour en fuite, parce qu’Antoine Doinel, comme Truffaut, ne saurait vivre ailleurs qu’à Paris, et pour Le Dernier Métro (mais ce film a été entièrement tourné en studio).

 

Jean-Pierre Léaud et François Truffaut

 

Y a-t-il des choses que, pour une raison ou pour une autre, vous n’avez pu inclure dans votre livre ? 

Non, j’ai pu mettre tout ce que je voulais. Et puis, les archives Truffaut, léguées par ses filles à la Cinémathèque, sont une source d’informations infinie ! Il faut plutôt se demander ce qu’on ne met pas !

Qu’avez-vous découvert que vous n’aviez pas prévu, sur Paris et sur Truffaut, en écrivant ce livre ? 

Avant de commencer à travailler sur ce livre, j’ai participé à une visite guidée organisée par le site cine-balade.com (que je recommande) sur les lieux « truffaldiens », dans le quartier de la place de Clichy. Et là, j’ai pu voir à quel point un film comme Les Quatre Cents Coups était autobiographique ! La place Gustave-Toudouze où habite Doinel est à moins de cent mètres de la rue de Navarin, où était l’appartement des Truffaut. Et ainsi de suite. Quand Antoine Doinel déménage en face de chez la jeune fille qu’il convoite dans Antoine et Colette, il ne fait que reproduire une chose que Truffaut a vraiment faite ! Mais, pour que le rapprochement ne soit pas trop évident, celui-ci fait de son personnage un fou de musique et non de cinéma comme lui. 

Comptez-vous poursuivre cette série, Le Paris de… ?

J’aimerais traiter du Paris de Jean-Pierre Melville et aussi de celui de Jean Gabin, car il y a vraiment de quoi raconter. Mais mon prochain ouvrage avec Parigramme sera consacré à l’arrivée du rock en France, et plus précisément à Paris avec le Golf-Drouot, les débuts de Johnny, le concert Salut les copains de la place de la Nation en 1963, les Beatles à l’Olympia… D’ici là, je publie, chez ce même éditeur, Paris ‒ 100 films de légende, un recueil de photographies avec les films « parisiens » les plus emblématiques, des Enfants du paradis à Peur sur la ville, en passant par Un Américain à Paris ou Subway.

 

Propos recueillis par FAL

Philippe Lombard, Le Paris de François Truffaut, Parigramme, mai 2018, 14,90 euros

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :