Asteroid City, l’esthétique du vide

1955. Petite enclave située dans le désert américain, Asteroid City doit sa célébrité à une météorite échouée sur les lieux plusieurs années auparavant. Depuis, elle abrite un centre astronomique important, qui s’apprête justement à recevoir plusieurs jeunes surdoués du pays afin de les honorer. Les festivités vont offrir l’opportunité à des rencontres inattendues et à des événements surprenants alors que des essais nucléaires se multiplient à quelques kilomètres de là.

Devenu après plus de vingt-cinq ans de carrière la coqueluche de la critique internationale, Wes Anderson n’a eu de cesse de développer une esthétique singulière, haute en couleur, appuyée par des travellings caractéristiques, afin de servir son univers, un poil absurde, parfois cynique, mais toujours empli de cette espérance juvénile qui fait défaut à l’âge adulte. Considéré désormais comme un auteur incontournable, sa renommée lui permet aujourd’hui d’attirer les acteurs et actrices les plus talentueux à l’image d’un Woody Allen de la grande époque, bien que le succès au box-office ne soit jamais garanti pour ses projets iconoclastes et déroutants.

Et il faut bien avouer que son précédent long-métrage, The French Dispatch, n’a pas réussi à séduire les foules et a par conséquent peiné à rentabiliser son budget (assez modeste cela dit, au vu du casting). Cependant, cet échec relatif incite à s’interroger sur la pérennité de son art et surtout la capacité du réalisateur à se réinventer. Car on constate hélas qu’il s’avère impossible pour lui d’aller au-delà de sa farandole visuelle clinquante et que hormis quelques références ainsi qu’une direction d’interprètes assez convaincante, l’homme ne propose rien de bien exaltant depuis quelque temps, excepté L’Île aux chiens.

Voilà pourquoi Asteroid City, nanti une fois de plus d’une distribution impressionnante, constituait une occasion en or pour le cinéaste de repartir sur de bonnes bases et de prouver qu’il pouvait montrer quelque chose de différent, aidé par Roman Coppola au scénario (comme pour Moonrise Kingdom et À bord du Darjeeling Limited). Malheureusement, on décèle très vite l’arnaque quitte à remettre en cause la filmographie de l’auteur tant le long-métrage recycle les mêmes effets jusqu’à la nausée. Explications.

Le monde miniature

Une des marques de fabrique de Wes Anderson est d’intégrer ses protagonistes dans un monde miniature pour une courte durée et étudier par ce biais certains grands principes sociétaux. Île désaffectée ou lieu d’une colonie de vacances, sous-marin ou hôtel, le metteur en scène se sert de chaque endroit comme prétexte à un champ d’expérience spatio-temporel où l’on contemple la vie de son voisin par sa fenêtre tandis que chaque travelling permet de passer instantanément d’une existence à l’autre.

Et Asteroid City n’échappe pas à cette règle puisque le cinéaste choisit de situer l’action au sein du désert américain, dans une minuscule cité rendue célèbre pour abriter un objet inhabituel et qui va accueillir momentanément une galerie de personnages insolites et les confronter aux turpitudes du quotidien. Cependant, il agace rapidement en usant des mêmes outils jusqu’à la corde, atténuant d’une certaine manière l’unicité de chacune de ses œuvres.

Si l’entreprise ne démérite pas, si les intentions paraissent louables et les influences sont intéressantes, rien ne justifie un tel dispositif, pétaradant, mais médiocre à l’arrivée, qui oublie les vertus de la litote au profit d’une démonstration de force. On comprend alors très vite l’ambition à peine voilée de Wes Anderson, celle d’insérer une histoire au sein d’une autre, de miniaturiser son script en faveur d’un autre sensé faire plus « grand », à la manière d’un Renoir dans Le Carosse d’or ou d’un Truffaut dans Le Dernier Métro.

Mise en abyme frelatée

On constate que Wes Anderson se retrouve piégé, écrasé sous le poids de ce procédé fort délicat à manier. Certes, son habileté graphique persiste, mais il ne parvient jamais à poser de manière élégante sa mise en abyme comme le faisaient ses aînés voire Pedro Almodovar dans Douleur et Gloire. Seul compte à ses yeux le processus ostentatoire, dépourvu de la moindre finesse et agrémenté de passages poétiques forcés. On discerne dès lors, durant des séquences en noir et blanc et du retour à la pseudo-réalité, ses véritables velléités.

Tout comme Conrad incarné par Edward Norton, Wes Anderson s’érige en démiurge omnipotent et omniscient, contrôle et dirige tout, mais ne laisse jamais l’opportunité à son long-métrage de s’exprimer par des non-dits ou des silences. À la place, nous avons droit à un discours volubile et des artifices de mise en scène destinés à camoufler une mécanique du vide. Le cinéaste ne saisit pas que chez Renoir ou Truffaut, la barrière qui séparait la réalité quotidienne de la magie du spectacle tenait aussi bien à un stratagème savamment élaboré qu’à un désir de confronter le drame à l’illusion. Ici, Wes Anderson garde la main sur le volant, mais a oublié dans l’affaire de boucler sa ceinture au moment d’accélérer.

Preuve de ce gâchis, la scène durant laquelle Jake Ryan transmet à Scarlett Johansson une lettre de son mentor et ancien amant, récapitulant certains moments clés de leur passé. Si l’actrice démontre tout son talent pendant ces quelques secondes, sa prestation est ruinée par l’exposition explicite de la narration voulue par Wes Anderson lui-même. Le fluide magique du réalisateur s’évanouit pour faire place à un résultat moins brillant que le festival coloré à l’écran.

Après The French Dispatch, Wes Anderson déçoit encore avec Asteroid City, copie sans saveur d’un tableau de maître, en dépit de ses facettes bariolées et tapes à l’œil censées nous masquer ses aspérités et innombrables écueils. De là à imaginer que Wes Anderson s’est muté en représentant d’un cinéma d’auteur en perdition, il n’y a qu’un pas.

François Verstraete

Film américain de Wes Anderson avec Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks. Durée 1h46. Sortie le 21 juin 2023.

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