L’art d’être français, manuel de résistance politique de Michel Onfray

Discutant avec des étudiants en philosophie, Michel Onfray leur conseille plusieurs lectures, puis il estime qu’il doit leur écrire non pas forcément son testament politique, ni tout à fait un programme politique, mais ce qu’il pense devoir transmettre. Son héritage ? Plutôt, comme il le dit lui-même, un manuel de résistance politique. Depuis qu’il s’est affirmé souverainiste, beaucoup de ses détracteurs se radicalisent contre lui, et avec L’Art d’être français cela n’a pas manqué de se réitérer. Pourtant, quelle lucidité dans ce beau combat : défendre une civilisation, d’autant plus noble qu’Onfray l’annonce perdue depuis des années. Il y a donc une résistance à mettre en place, intellectuelle, pour protéger l’esprit français (1). Il y a donc ce qui doit être défendu et ceux qui l’attaquent.

Ce qui doit être défendu

L’esprit français — qu’on enviait et qu’on conspue à présent — s’est constitué par quelques grandes figures, qui ont imposé leur marque au point d’en faire un trait même du caractère national. Bien sûr, il faut admettre au préalable qu’il y a un esprit français, une culture française, n’en déplaise au Président qui nie cela pour plus de dilution dans le grand rien maastrichtien (2).

Il y a donc d’abord Montaigne, qui invente la laïcité par sa manière novatrice penser en dehors de Dieu. Puis Rabelais, inventeur du roman moderne, qui met la gaité libre et truculente en art. Puis Descartes, cartésien, qui pose le rationnel comme point de départ de la philosophie, de la pensée, d’une manière de penser claire et solide. Voltaire, voltairien, qui met au-dessus de tout la pratique de l’ironie comme rapport au monde, avec cette puissance de la parole pour intervenir dans le débat public ; au sens propre du mot c’est le premier intellectuel. Marivaux, marivaudage, qui met l’art de la galanterie et du beau langage comme finalité des relations humaines, au milieu d’intrigues mêlées c’est le beau langage qui sauve. Hugo, le colosse des Lettres, qui domina la poésie, le roman, le théâtre, mais aussi le journalisme, la politique, fut un excellent peintre, porta le peuple au rang de héros sublime par Les Misérables.

Toutes ces figures forment l’esprit français selon Onfray, l’intelligence et la blague grossière, le raffinement exquis et la galanterie, l’irrévérence et l’ironie, La Défense du peuple avant tout. Qui pourrait vouloir détruire cela ?

Contre qui se défendre ?

Les attaquent viennent aussi bien de l’extérieur, même des alliés, que de l’intérieur, même de ceux qui se nourrissent de ce qu’est la France.

Les alliés, disons-le les Américains, depuis Overlord pensent l’Europe occidentale, donc la France, comme une clientèle. De Gaulle a freiné cette velléité, mais depuis Pompidou et tous ses successeurs, c’est terminé. La France, vassale des USA (Overlord ne veut-il pas dire suzerain ?), doit consommer (attaque du soft power embarqué avec les GI, piano et big bang en première ligne) et s’aligner sur les lignes politiques de son maître. Tout ce qui va contre cela est attaqué, la France ne doit pas être un petit pays autonome et souverain comme elle l’a été pendant 1000 ans, elle doit être un rayon du supermarché-monde que fournit l’Amérique.

Onfray brosse une liste de onze causes du malheur français actuel : la moraline, l’infantilisation, le néo-féminisme, le décolonialisme, l’islamo-gauchisme, l’antifascisme, la déresponsabilisation, la créolisation, l’écologisme et l’antispécisme. Et il nomme les porteurs de ces armes : Sartre (toujours lui !), la French Theory, Mitterrand, Cohn-Bendit, pédophile tout comme Gide à qui l’on doit l’introduction du freudisme en France, Gallimard, le PCF, etc. Et il analyse quelques ouvrages publiés en France, par des éditeurs français, pour attaquer la France, par exemple : Les Blancs, les Juifs et nous d’Houria Bouteldja, Pour les Musulmans d’Edwy Plenel. Au moins Michel Onfray ne mâche pas ses mots et donne les informations pour juger, les citations longues et explicites. Si parfois ses analyses, dans le détail, peuvent être sujettes à caution, dans le mouvement global il dénonce un travail de sape contre ce qui, selon lui, fait la France, son histoire et son esprit. Comment comprendre autrement, par exemple, des arguments qui se fondent sur le mot de race utilisé à dessein pour valoriser tel groupe (les racisés, positifs toujours, et héritiers des victimes d’hier donc éternellement victimes) contre tel autre (les racistes blancs, négatifs toujours, et héritiers des bourreaux d’hier donc éternellement bourreaux).

Bien sûr L’Art d’être français, n’est pas un ouvrage réjouissant. La lucidité en ces temps orwelliens est toujours un exercice contre, contre les faux prophètes, contre les mensonges, contre les manipulations, contre la cécité volontaire et la duperie généralisée. Contre ceux qui ont intérêt à ce que cela France ne soit plus un état nation porté par son histoire propre mais un pion dans le grand tout, avili, inféodé, invisibilisé et nié dans son essence même, Onfray ose proposer d’entrer dans un combat du réel contre les idéologies, de la lucidité contre la mauvaise foi. L’Art d’être français est à la foi un bel éloge de la France dans ses traditions populaires, et intellectuelles, et un guide pour résister. Quitte à être, pour certains qui ne connaissent de la France que quelques rues de Saint-Germain-des-Prés, le philosophes des ploucs et des provinces.

Loïc Di Stefano

Michel Onfray, L’Art d’être français, J’ai lu, octobre 2022, 416 pages, 9 euros

(1) La récente attaque des journalistes de Libération contre la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de Rugby, qui montrait une France dans ses traditions populaires, mais vue comme « la carte postale sépia d’une France qui sent la naphtaline ». C’est un signe que les Français ne sont plus unis derrière les valeurs simples que chantait Trenet par exemple. Mais il faudrait poser la question à ces journalistes : pourquoi cette haine ?

(2) Pour plus de détails, lire de Michel Onfray le Traité de la dictature.

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