Les statues de la discorde, l’histoire en débat
Historienne de la France contemporaine
Autrefois professeur à l’université de Lille 3, Jacqueline Lalouette a concentré ses recherches sur les questions politiques et religieuses, spécialement le sujet de la libre pensée à laquelle elle a consacré un livre paru chez Albin Michel en 1997. On lui doit aussi une ouvrage sur Jean Jaurès paru chez Perrin en 2014, Jean Jaurès l’assassinat, la gloire, le souvenir. Elle revient ici avec Les Statues de la discorde sur un sujet très contemporain, la polémique sur le déboulonnage des statues de grands hommes, accusés de racisme, mouvement qui s’est amplifié depuis l’assassinat de George Floyd le 22 mai 2020.
Un mouvement parti de la France d’outre-mer
Si le phénomène a pris de l’ampleur en France, il est d’abord né, avant l’assassinat de George Floyd, dans les îles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion, hantées par le souvenir de l’esclavage. Les statues attaquées sont toutes liées d’une manière ou d’une autre à l’esclavage ou à son abolition : Victor Schœlcher est ainsi remis en cause en tant que blanc paternaliste, sa gloire faisant oublier toutes les figures locales s’étant battues pour l’émancipation. On voit aussi en métropole des statues de Colbert, initiateur du code noir, vandalisées et aussi celles… du général de Gaulle, pourtant totalement étranger à la problématique de l’esclavage.
Mais derrière ces statues vandalisées se cache un problème plus vaste.
Une remise en cause de l’histoire
Si on peut comprendre, à la rigueur, que des figures comme Faidherbe, Galliéni ou Bugeaud, liées à la conquête et à la pacification du Sénégal, de Madagascar ou de l’Algérie (sujet épineux) posent question, cette vague d’iconoclasme est surtout liée à la « cancel culture » et à des blogueurs – comme Franco Lollia – issus de la mouvance décoloniale et indigéniste, bien analysés ici par Jacqueline Lalouette. Leur but est simple : réécrire l’histoire, trop « blanche » à leur goût. Sans le savoir, leurs outrances les amènent à un nouveau racisme, creusant la tombe de l’universalisme républicain. Doit-on enlever certaines statues ? Peut-être. Doit-on en élever d’autres à la gloire de personnages de couleur tel le général Dumas et son illustre fils Alexandre, ou encore Gaston Monnerville et Joséphine Baker (qui mériterait, en tant que résistante, le panthéon) ? Oui mais en raison de leurs immenses mérites, pas de la pigmentation de leur peau. Rappelons-nous que c’est la reconnaissance de son mérite qui ont poussé les républicains à dresser des statues à Colbert, ministre d’un roi honni. Nous devons donc rester fidèles à cette notion, au fond très républicaine, de mérite. Très bon essai.
Sylvain Bonnet
Jacqueline Lalouette, Les Statues de la discorde, Passés composés, février 2021, 240 pages, 17 eur