Le rendez-vous manqué, le grand duel

Une grande historienne

On connaît Annie Jourdan, historienne de la Révolution et de l’Empire, pour des ouvrages de qualité comme La Révolution française, une histoire à repenser (Champs, 2021), Nouvelle histoire de la Révolution (Flammarion, 2018) ou son grand classique Napoléon, héros, imperator, mécène (Flammarion, 2021), ce dernier étant plusieurs fois réédité. Avec Le rendez-vous manqué, elle revient sur la confrontation passionnante entre Napoléon et Germaine de Staël, championne des idées libérales et femme de lettres. Un duel qui aurait pu être tout à fait autre chose…

Une femme cherche un héros…

Germaine de Staël fut une femme passionnée. Fille de Necker (qu’elle vénérait), mal marié à un diplomate suédois passionné par le jeu, elle multiplie les amitiés et les amants. Elle a par exemple deux enfants avec Louis de Narbonne, fils naturel de Louis XV et éphémère ministre de la Guerre de Louis XVI (elle y était pour quelque chose). Intellectuelle de renom, Germaine de Staël cherche à peser sur son temps, à stabiliser la République. Elle cherche aussi un homme, un grand homme, comparable à son père. Il y a bien Benjamin Constant, qui l’aime… Mais ce n’est pas suffisant. Arrive Bonaparte, le héros d’Italie. Serait-ce donc lui l’homme qu’il faut à la France, l’homme qui, enfin, remplirait sa vie, un compagnon. Elle va tout faire pour le rencontrer, lui parler, le séduire…

Et Napoléon s’en fit une ennemie…

La magie n’opère pourtant pas : Bonaparte, en bon misogyne, se méfie d’elle instinctivement. Il la trouve laide, elle est une intrigante. Il la tient à distance, même quand Germaine se lie avec son frère Joseph. Il faut dire que Talleyrand, autrefois un des meilleurs amis de l’auteure de Corinne ou l’Italie, la trahit sans hésitation en recommandant à son nouveau maître la plus grande méfiance. C’est donc un conflit, sourd, qui commence auquel Benjamin Constant est mêlé : il est ainsi chassé de l’assemblée du Tribunat en 1802, surveillé par la Police, ce qui ne l’empêchera pas de rédiger l’acte additionnel durant les cent jours… Napoléon interdit d’abord à Germaine de Staël de vivre à Paris, puis joue avec elle en lui laissant de temps en temps espérer un retour. Car l’exil loin de Paris est un calvaire pour cette femme de salon. Peut-être se serait-il contenté d’une allégeance publique de sa part mais cette libérale en est incapable.

Voici l’histoire de deux personnes qui cherchaient la gloire, voulaient entrer dans l’histoire. Germaine fut toujours fasciné par Napoléon, même quand elle le détestait. Lui se méfiait mais constata à Sainte Hélène que les idées de la dame de Coppet l’avaient emporté. Le rendez-vous manqué est un excellent ouvrage d’Annie Jourdan.

Sylvain Bonnet

Annie Jourdan, Le rendez-vous manqué, Flammarion « au fil de l’histoire », février 2023, 396 pages, 23,90 euros

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