Les Misérables, un film de Jean-Paul Le Chanois avec Jean Gabin

Quoi de neuf ? Molière sans doute, mais aussi Hugo. Qu’on en juge simplement par ces quelques lignes extraites des Misérables : « En France, il n’y a pas de colère, même publique, que six mois n’éteignent. Les émeutes, dans l’état où est la société, sont tellement la faute de tout le monde qu’elles sont suivies d’un certain besoin de fermer les yeux. »

Ne nous étonnons donc pas si Les Miz – ze comédie musicale –sont repris ces jours-ci au Châtelet, in French, et si vient d’être rééditée chez Pathé la version cinématographique réalisée en 1957 par Jean-Paul Le Chanois, avec Jean Gabin dans le rôle de Jean Valjean (1). On ne se noiera pas ici dans une étude comparative des différentes adaptations cinématographiques ou télévisuelles du roman de Hugo, puisqu’il en existe à ce jour plus de quatre-vingts. Il en est des Misérables comme des pièces de Shakespeare : c’est un fonds dans lequel chaque scénariste, chaque réalisateur puise ce qui le séduit ou tout simplement, ce qu’il est en mesure de représenter matériellement. Ici par exemple, toute la partie sur Waterloo est omise. On se dit d’ailleurs que cela vaut sans doute mieux quand on voit la reconstitution en studio de quelques rues de Paris pour les scènes de barricades : comme on le fait remarquer dans l’un des bonus, elle semble tout droit sortie d’une scène de théâtre (il n’était évidemment pas question de CGI dans les années cinquante).

En revanche, la version qui nous est offerte étant, comme il est désormais de mise, une version restaurée, nous avons droit à des couleurs — fruit du Technirama, procédé nouveau à l’époque — qui éclatent à chaque plan. Cadeau, toutefois, légèrement empoisonné. Que nous ayons l’impression de feuilleter un recueil d’images d’Épinal n’est pas en soi un mal — cet aspect rejoint l’ambition pédagogique et proclamée comme telle du roman (et les transitions en voix off dites par Jean Topart vont aussi dans ce sens). Mais cette qualité technique contribue à souligner un défaut certes commun à tous les films en costumes, mais particulièrement choquant quand les personnages de l’histoire sont en majorité des misérables : vestes, robes, pantalons, chemises — tout semble tout droit sorti du pressing.

Ces réserves, toutefois, n’ont que peu d’importance. Ce qui fait que le film, au moins dans sa première partie, garde encore une force nonpareille, c’est la perfection de la distribution des rôles. Bien sûr, certains cinéphiles ne manqueront pas de chanter — à juste titre — les mérites d’Harry Baur dans la version Raymond Bernard de 1934, mais Gabin, qui pouvait interpréter à l’écran et le Président et Archimède le clochard, était tout désigné pour nous faire voir la métamorphose de Jean Valjean en Monsieur Madeleine comme la chose la plus naturelle du monde. De même que Bernard Blier, avec sa bouille où se combinent obstination et incrédulité, était l’incarnation idéale de Javert. De même que le gentil Bourvil était, lui, l’incarnation idéale de cette crapule de Thénardier. Contre-emploi ? Que nenni ! Ce qui fait que l’on s’attache à tous les personnages de Hugo et qu’ils dépassent les conventions du mélodrame, même si l’on a parfois l’impression qu’ils sont dessinés à gros traits, c’est qu’ils sont tous, chacun à sa manière, doubles et porteurs de contradictions internes. Thénardier est une crapule, mais une crapule qui, à tort ou à raison, se considère comme une victime du destin. Et il est évident que, si Javert est l’ennemi de Jean Valjean, c’est surtout son frère ennemi. Ne jamais oublier que l’une des premières pièces de Hugo — inachevée, mais qu’importe ? — se nommait Les Jumeaux.

FAL

Les Misérables, un film de Jean-Paul Le Chanois. Scénario et adaptation : Jean-Paul Le Chanois, René Barjavel d’après le roman de Victor Hugo. Avec Jean Gabin, Bernard Blier, Bourvil, Giani Esposito, Danièle Delorme. Pathé. Coffret DVD : 24,99 euros. Coffret Blu-ray : 29,99 euros.

(1) À signaler aussi, prévue pour janvier ou décembre chez Rimini, la sortie d’un B-r (là encore avec restauration) de Notre-Dame de Paris version 1923, avec Lon Chaney dans le rôle de Quasimodo.

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