Conduire la guerre, comprendre l’art opératif

Ce livre est le fruit d’un dialogue entre Jean Lopez, rédacteur en chef de Guerre et Histoire, et Benoist Bihan, entrepris durant la période du confinement, autour de la théorie stratégique et surtout sur une notion peu connue chez nous, l’art opératif. Et il restait, on va le voir dans Conduire la guerre, beaucoup de brume à dissiper autour de cette notion.

Qu’est-ce que l’art opératif ?

A la base, l’art opératif naît des réflexions d’Alexandre Svietchine, ancien général russe rallié aux bolcheviks, auteur d’un ouvrage non traduit, Strateguiia, écrit dans l’entre-deux guerres, qui essayait de résoudre l’énigme du blocage des fronts durant la grande guerre. Nos deux auteurs partent aussi d’un constat dans un premier chapitre passionnant : la stratégie n’arrive pas à mettre les combats à son service et une bataille gagnée ne signifie pas une victoire décisive. Napoléon gagne la bataille de la Moskova mais perd suite au refus du tsar Alexandre de traiter : impasse stratégique ! Le Nord perd des batailles face au général Lee mais celui-ci échoue à gagner la guerre. Svietchine, inspiré par Marx et Clausewitz, essaie de résoudre ce problème en reliant la bataille et la stratégie. Ce n’est pas pour autant un palier intermédiaire, l’opérationnel, issu lui de la pensée tactique américaine.

Une pensée peu utilisée en occident

L’art opératif est donc au service d’une stratégie d’ensemble, défini par le politique, recherchant donc la rupture d’un front et non la bataille décisive. L’armée rouge s’en est bien sûr inspiré pour monter l’opération “Bagration” en 1944 qui a disloqué la Wehrmacht ou l’offensive en Mandchourie l’année suivante qui a détruit une partie de l’armée japonaise et puissamment contribué avec les bombardements atomiques à contraindre Tokyo à la capitulation. C’est justement l’atome qui va geler les débats stratégiques en Occident, voire en Russie. A quoi bon l’art opératif si on peut détruire l’ennemi par une attaque nucléaire. De plus, l’Occident, sous leadership américain, va de plus en plus se reposer sur sa supériorité technologique pour gagner des guerres. Cela débouche sur des échecs comme la guerre du Vietnam, la deuxième guerre d’Irak…

A l’heure où la guerre en Ukraine fait rage, il est urgent de relancer le débat stratégico-militaire et de redécouvrir l’art opératif : Conduire la guerre à deux voix y contribue puissamment.

Sylvain Bonnet

Benoit Bishan & Jean Lopez, Conduire la guerre, Perrin, janvier 2023, 400 pages, 22,90 euros

Laisser un commentaire