Le sang de nos ennemis, au cœur de nos blessures

Un routard du polar

Scénariste, ancien ingénieur du son, Gérard Lecas a signé quelques polars comme L’ennemi public numéro 2 (Gallimard, 1981) Un volume du Poulpe qui a fait parler, Satanique ta mère, ou encore Le corps de la ville endormie (Rivages, 2012). Il revient ici avec Le sang de nos ennemis, un polar qui nous renvoie à Marseille en 1962, à la fin de la guerre d’Algérie.

En plein chaudron

« C’est là-bas, dit Louis Anthureau en montrant la silhouette carrée d’un tube Citroën, tout au bout de la petite route. Ils avaient dépassé le Sambuc depuis deux kilomètres. Il replia la carte routière. De loin, la masse métallique de la fourgonnette brillait sous le soleil comme un énorme glaçon. »

Jeune flic, membre du Parti communiste, Louis Anthureau est à Marseille, là son résistant de père s’est autrefois illustré. Il fait équipe avec Jacques Molinari, ancien résistant lui aussi mais de l’autre bord, recyclé au RPF, puis chez les Barbouzes qui ont opéré à Alger. Ils découvrent tous les deux le corps d’un cadavre, un arabe. Vidé de son sang qu’on retrouve dans un jerrican à côté. L’enquête est lancée dans une ville de Marseille surchauffée par l’arrivée des rapatriées, l’activité de l’OAS… sans oublier la pègre à laquelle Molinari est lié. Louis, idéaliste et communiste, se prend le chou avec son coéquipier. Il est loin de se douter que cette enquête va lui permettre de revoir sa mère, un médecin au service du FLN. Et d’apprendre la vérité au sujet de la mort de son père. Sans compter cette jeune fille algérienne, Kahina, associée à sa mère, si loin de lui et pourtant pas tant que ça :

« La jeune fille le fixa avec des paupières mi-closes qui s’ouvrirent lentement, comme si elle prenait conscience de sa présence. Un afflux de sang vint colorer le marbre doré de ses joues. Il prit sa main dans la sienne, l’attira jusqu’à ses lèvres et la baisa longuement, sans la quitter des yeux. Elle s’abandonna ainsi à lui. »

Un grand polar

Rien à dire contre Le sang de nos ennemis, roman noir ancré dans l’histoire (l’histoire de la Résistance et de la guerre d’Algérie sont ici prégnantes) et les zones d’ombre de la République française et aussi de l’Algérie. Il y a un crime, qui en entraînera d’autres, qu’il faudra élucider. Il y a des flics, avec leurs parts d’ombre et aussi de lumière. Il y a aussi l’histoire de deux femmes, ici magnifiques (il faut être aveugle pour ne pas le voir). Nous ne pouvons que recommander Le sang de nos ennemis.

Sylvain Bonnet

Gérard Lecas, Le sang de nos ennemis, Rivages, février 2023, 288 pages, 21 euros

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