Al Adamson, le maître de l’horreur enfin à l’honneur

plans b

Au programme de L’Étrange Festival, Blood & Flesh, un documentaire de David Gregory sur la vie et l’œuvre et la mort d’Al Adamson, réalisateur peu connu en France, mais représentatif du cinéma dit d’exploitation — face oubliée, sinon cachée, de la grande histoire du cinéma.  

Allons, ne racontez pas n’importe quoi : vous ne connaissez pas Al Adamson. Parce que, si vous le connaissiez, vous feriez semblant de ne pas le connaître. Qui en effet irait se vanter d’avoir vu des films portant des titres tels que The Naughty Stewardesses, Blood of Dracula’s Castle, Horror of the Blood Monsters, ou encore Nurse Sherri/The Possession of Nurse Sherri/Terror Hospital/Black Voodoo/Hands of Death (nous regroupons ces cinq derniers titres parce qu’ils dissimulent en fait un seul et même film, ainsi rebaptisé pour pouvoir être présenté chaque fois comme une nouveauté…) ?

Non, Les Cahiers du cinéma ne consacreront jamais un numéro spécial à Al Adamson.

Mais pour L’Étrange Festival (qui commencera dans quelques jours au Forum des Images), c’est évidemment une autre affaire : au programme cette année, Satan’s Sadists (Les Sadiques de Satan), un vrai joyau si l’on en croit les amis d’Al, mais aussi et surtout Blood & Flesh, un documentaire d’une heure quarante sur l’homme et l’œuvre, dû à David Gregory, réalisateur d’une bonne centaine de bonus de DVD et d’un autre long métrage en tout point remarquable (et présenté lui aussi à L’Étrange Festival il y a trois ans) sur l’invraisemblable Bérézina que fut le tournage de L’Île du Docteur Moreau version Marlon Brando.

Certains ne manqueront pas de reprocher à David Gregory de consacrer tant de temps et d’énergie à des sujets qui n’en valent guère la peine (et l’accroche de l’affiche originale belge des Sadiques de Satan — « Sharon Tate est morte… eux vivent encore ! » — ne contribuera guère à les faire changer d’avis). Il s’en explique dans l’entretien qui suit. En tout état de cause, son Blood & Flesh mérite d’être vu au moins pour trois raisons. La première, c’est que c’est un film souvent très drôle : il faudrait être de marbre pour ne pas sourire devant la ringardise de certains extraits présentés ici et là, ou l’absurdité de certaines anecdotes racontées par différents témoins. On apprend ainsi que Georgina Spelvin (vedette de L’Enfer pour Miss Jones), effarée par le rythme de tournage imposé à tous et à chacun dans la série B (Girls For Rent, alias I Spit On Your Corpse) pour laquelle l’avait engagée Adamson, aurait déclaré : « C’est beaucoup trop crevant ! Je vais retourner faire du porno. »

La seconde raison est que, si « parallèle » soit-elle, l’histoire de ces séries B recoupe en maintes occasions la noble histoire des séries A. De manière parfois pathétique, certes, lorsqu’on voit Adamson engager — par calcul et par humanité tout à la fois — des vedettes hollywoodiennes dont la gloire n’était plus qu’un souvenir (le vieux John Carradine, par exemple), mais aussi de manière dynamique : certains critiques ont fait remarquer que, avec ses gangs de bikers, Satan’s Sadists avait déjà comme un parfum d’Easy Rider, sorti un peu plus tard. La maison Adamson était, un peu comme la maison Corman, un vivier pour de futurs techniciens de renom qui n’auraient a priori pas trouvé d’emploi ailleurs : avant d’être le directeur de la photographie de Brian De Palma, de Robert Altman, de Spielberg, de Cimino ou de Woody Allen, Vilmos Zsigmond, débarquant de sa Hongrie natale, fut celui d’Al Adamson. Le hasard fait que Blood & Flesh sort à peu près en même temps qu’Il était une fois… à Hollywood. Dans les deux films apparaît le Spahn’s Ranch (puisque Adamson y tourna des westerns), mais nous ne sommes pas loin de penser que les quelques plans de Manson (le vrai) et de ses amies retenus par David Gregory dans son documentaire sont tout aussi glaçants que la reconstitution tarantinienne.

La troisième raison n’est autre qu’Al Adamson lui-même. Comme le fait remarquer l’un des intervenants, de manière générale, il arrive un moment où les réalisateurs de séries B s’efforcent de passer « un cran au-dessus ». Lui, non. Al Adamson il fut, Al Adamson il resta jusqu’au bout. Il y a dans cette constance quelque chose qui relève de la foi. La manière dont, comme nous l’avons signalé, certains films étaient remontés, rebaptisés (Black Heat devenant ainsi Girls’ Hotel, puis The Murder Gang), bidouillés, tripatouillés, dans l’espoir de mieux épouser les goûts du public fait d’Adamson et de ses acolytes des héros sisyphéens.

Et puis il y a la fin d’Al Adamson, assassiné dans des circonstances bien pires que tout ce que lui et ses scénaristes avaient pu imaginer pour ses films d’horreur. Un article de l’époque, avec un goût discutable, mais avec une certaine pertinence aussi, résuma l’affaire en détournant le principe d’anti-mimesis cher à Oscar Wilde, Le titre de cet article était, non pas « Life imitates art », mais « Death imitates art. » Et il n’y a pas eu de Tarantino pour réécrire cette histoire.

Satan’s Sadists sera projeté à L’Étrange Festival les 5 et 7 septembre. Blood & Flesh : The Reel Life and Ghastly Death of Al Adamson les 6 et 7 septembre. En présence de David Gregory.

entretien avec David Gregory

Boojum <> Si l’on prononce en France le nom du réalisateur Al Adamson, même les plus farouches amateurs de cinéma bis auront bien du mal à citer un autre titre que Dracula contre Frankenstein…

David Gregory <> On peut dire qu’aujourd’hui Dracula contre Frankenstein est le plus célèbre des films d’Al Adamson, mais ce n’est pas celui qui a remporté le plus de succès au moment de sa sortie. Satan’s Sadists (Les Sadiques de Satan) et The Naughty Stewardesses ont attiré beaucoup plus de spectateurs. Quoi qu’il en soit, les films d’Al Adamson n’ont jamais disparu de la circulation. Blood of Dracula’s Castle a toujours été un grand classique des collections de DVD à petit prix, et la plupart des films produits par Sam Sherman — l’associé d’Al Adamson — sont restés accessibles, au fil des ans, sur différents supports vidéo. Al avait d’ailleurs appelé Sam deux mois avant sa mort pour lui dire — chose étrange — de ne jamais retirer ses films du marché, quoi qu’il advienne. Et, de fait, ses films n’ont jamais été retirés du marché.

Quelle connaissance aviez-vous personnellement de l’œuvre d’Al Adamson avant de réaliser ce documentaire ?

Mon associé et ancien camarade de classe Carl Daft et moi ne cessions de louer des cassettes lorsque la vidéo est apparue. Plus exactement, comme nous avions dix-onze ans, nous ne cessions de supplier nos parents de louer pour nous des cassettes, de préférence celles qui étaient affublées des titres les plus dégueu – plus il y avait du sang sur la jaquette, mieux c’était… – et, quand ils refusaient, nous nous arrangions toujours pour trouver un autre moyen. L’un des premiers films que nous avons pu découvrir a été Dracula contre Frankenstein. Même si nos parents pouvaient se poser des questions sur la valeur artistique de la chose, ils n’auraient jamais pu deviner à quel point ils étaient en dessous de la vérité. Mais, pour nous, c’était le plus grand film de tous les temps ! Un catalogue complet de tous les fantasmes d’un jeune amateur de films d’horreur : des monstres, du sang, un nain, un carnaval, un dangereux dément, des meurtres à coups de hache, des seins nus, de la folie à revendre. Par la suite, j’avais eu l’occasion de voir Satan’s Sadists, The Female Bunch (Les Amazones du désir) et deux ou trois autres films de la même farine, mais c’est seulement lorsqu’on nous a proposé d’acheter les droits de Carnival Magic, l’ahurissant film « pour enfants » d’Adamson, que j’ai commencé à prendre conscience de l’étendue du champ d’investigation qui s’offrait à moi. Quand j’ai vu le nombre de gens qu’Al Adamson avait croisés sur sa route et quand j’ai découvert les circonstances très étranges de sa mort, je me suis dit que je tenais là la matière d’un documentaire, et que je n’avais plus qu’à le réaliser !

Lost Soul il y a trois ans, sur le tournage calamiteux de L’Île du Docteur Moreau avec Brando, de très nombreux bonus sur le réalisateur espagnol Jess Franco, aujourd’hui ce documentaire sur Al Adamson… On dirait que vos goûts vous portent systématiquement vers un cinéma de série B ?

C’est vrai, pendant les vingt années qui viennent de s’écouler, c’est au fond des « tranchées » de l’industrie cinématographique que j’ai trouvé la matière — inédite — de divers documentaires, mais c’est tout simplement parce que, de manière générale, les films d’horreur à petit budget et le cinéma d’exploitation se révèlent être mille fois plus passionnants que tout le reste. Peut-être parce que ce cinéma a été celui de mes jeunes années et que je n’ai toujours pas rompu avec lui, mais aussi parce qu’il se caractérise objectivement par des délires inconcevables ailleurs : ambition de la jeunesse, audace absolue dans la création, parcours du combattant couronné ou non de succès pour réaliser un film jusqu’au bout et le montrer… Ce qui est intéressant dans le cas d’Al Adamson, c’est qu’il a connu un certain succès sans apparemment nourrir quelque passion que ce soit pour les genres dans lesquels il œuvrait, mais, qui sait ? c’est peut-être là que se trouve la clef de la réussite dans l’industrie du cinéma ! Ce qui fait le sel de son histoire, c’est cette galerie de personnages qui gravitaient autour de lui, les lieux qu’ils fréquentaient et le résultat sur l’écran. Mais arrive évidemment le moment où le ciel s’assombrit et où l’on ne rit plus.

Comment vous êtes-vous procuré certains documents, en particulier tous ceux qui touchent à la découverte du corps d’Al Adamson ?

Les séquences vidéo où l’on explore l’intérieur de la maison d’Al Adamson et où l’on suit le déroulement des fouilles émanent directement des archives de la police d’Indio. Il a fallu un certain temps et toute la ténacité de la productrice Heather Buckley pour lever toutes les barrières, mais, à partir du moment où elles ont été levées, la police s’est montrée très coopérative, même si nous avons dû copier les bandes sur place, dans la salle de conférence du commissariat, en présence d’un policier qui avait pour mission de vérifier que nous ne volions rien ! Nous avons dû acheter un vieux caméscope hi8 pour pouvoir dupliquer les bandes originales, et cela nous a pris plusieurs heures. Après quoi les services du commissariat nous ont aidés à retrouver la trace des policiers aujourd’hui à la retraite qui avaient enquêté sur l’assassinat.

On voit à un moment donné le vrai ranch de la famille Manson et le vrai Manson dans votre documentaire. Tarantino l’a-t-il vu ?

Tarantino est sollicité à tort et à travers dès que quelqu’un se met en tête de tourner un documentaire sur un réalisateur de séries B. Je n’ai pas voulu grossir cette cohorte. Mais Tarantino nous a aidés pour notre prochain projet, sur la Bruceploitation (autrement dit sur les clones de Bruce Lee), en nous prêtant des copies 35 mm pour The Big Boss II et Fist of Fury II, pour lesquels nous n’avions pas le moindre élément sur pellicule.

            Pour autant que je me souvienne, contrairement à ce qui s’était passé pour Lost Soul avec des gens comme Val Kilmer ou Ron Perlman, nous n’avons essuyé aucun refus quand nous avons sollicité des interviews sur Al Adamson. Les difficultés se sont présentées lorsqu’il a fallu retrouver certains témoins qui s’étaient retirés du milieu cinématographique ou des gens avec un patronyme extrêmement courant, par exemple la gardienne — personnage déterminant — Lupe Garcia, ou Ken Adamson, frère d’Al. Dans certains cas, il est apparu qu’ils n’étaient plus de ce monde. Pour Vicki Volante, qui avait été la vedette de plusieurs des premiers films d’Al Adamson, le mystère reste entier : nous n’avons pas pu retrouver sa trace.

Quel crédit faut-il accorder à ces témoignages suivant lesquels Al Adamson, mécréant total au départ en matière d’OVNI, aurait fait avec un extraterrestre une rencontre du troisième type qui l’aurait totalement converti ?

Ce que je puis vous dire, c’est qu’il existe bien à Turin un Centro Ufologico et que les images qu’on peut en voir dans notre documentaire sont authentiques. Pour le reste, no comments.

L’assassin d’Al Adamson est-il toujours vivant ?

Oui, Fulford est encore vivant. L’interview téléphonique qu’on entend dans le film a été réalisée il y a quelques mois à peine. Elle est le résultat d’une longue correspondance entre M. Fulford et Mme Buckley, que j’ai citée plus haut. Fulford nous a téléphoné depuis la prison où il reste enfermé. Il avait été condamné à perpétuité avec vingt-cinq ans de sûreté. Sa demande de remise en liberté, présentée il y a deux ou trois ans, a été rejetée.

Pouvez-vous résumer la manière dont vous avez produit et réalisé ce documentaire ?

Le tournage s’est étendu sur quatre ans. J’essaie, pour ce type de projet, d’accumuler le plus de documents et de témoignages possible avant d’attaquer le montage, mais, même quand celui-ci est entamé, nous continuons de filmer des interviews et de réunir différents éléments. Nous avons par exemple réalisé un entretien complémentaire avec Sam Sherman pour combler certaines lacunes dans la narration. Et nous avons fini par avoir l’assassin au téléphone alors que nous étions à deux doigts de renoncer à cette idée. De temps à autre, je recours à une seconde équipe — je l’ai fait par exemple pour l’interview, à Sydney, de l’assistant cameraman australien qui avait travaillé sur Beyond This Earth —, mais de manière générale je préfère réaliser moi-même toutes les interviews, flanqué de mon cameraman favori, Jim Kunz. Jim et moi adorons faire des kilomètres et des kilomètres pour retrouver des témoins essentiels dans des endroits dont nul n’a jamais entendu parler — ce terrain de camping-cars d’Arizona pour le comédien Bob Dix (mort depuis notre rencontre) (1), cette commune perdue dans la campagne de Virginie pour l’avocat-comédien Zandor Vorkov (qui n’avait cessé de nous glisser entre les doigts), ce ranch d’Indio, en Californie, qui a remplacé celui que possédait Al Adamson. Quand Jim ne peut pas m’accompagner, parce qu’il n’a pas le temps ou parce que le déplacement est trop important, je recours à des techniciens du cru. Si j’ai été le chef d’orchestre de cette entreprise, plusieurs producteurs ont été mes premiers violons et n’ont pas rechigné lorsqu’il a fallu faire gracieusement des heures sup’ — car nous disposions pour ce documentaire d’un budget modeste.

            Le montage a connu plusieurs étapes. Mon ami Mark Hartley, réalisateur des documentaires Not Quite Hollywood (sur le cinéma d’exploitation australien dans les années soixante-dix et quatre-vingt) et (sur la Cannon) Electric Boogaloo, a réalisé le premier rough cut. Puis est arrivé Michael Capone, à côté duquel j’ai travaillé plusieurs jours de suite en deux occasions pendant les nombreux mois qu’a duré le montage – sinon, je lui envoyais des notes après avoir regardé les séquences qu’il me proposait. Pour la troisième phase, celle des finitions, c’est moi-même, et moi tout seul, qui me suis attelé à la tâche.

            Pour la musique, j’ai fait appel, comme toujours, à mon ami Mark Raskin. Pour les animations infographiques, j’ai eu recours à Mike Etoll, dont le style n’est pas sans parenté avec celui d’Al Adamson.

            Au total, donc, une équipe relativement réduite, mais chez chacun la volonté de produire le meilleur résultat possible. Ce documentaire est une production Severin (2) au plein sens du terme : un budget limité, certes, mais une liberté de création totale.

Qu’attendez-vous pour nous offrir maintenant un grand documentaire sur Jess Franco ?

Un documentaire de long métrage sur l’Oncle Jess ? Je ne sais pas — j’ai déjà réalisé tellement de bonus sur lui… Et puis ni lui ni sa muse ne sont plus parmi nous. Les principaux collaborateurs d’Al Adamson sont encore là pour témoigner ; presque tous ceux de Jess sont morts. Toutefois, je travaille actuellement, avec Stephen Thrower et Antonio Mayans, au montage d’un travelogue en plusieurs parties consacré aux lieux de tournage de ses films et qui nous a fait parcourir l’Espagne et le Portugal dans tous les sens.

           Il y a aussi le documentaire sur la Bruceploitation, dont le montage ne va pas être de tout repos, puisqu’on y entendra du mandarin, du cantonais, du japonais, du coréen, de l’allemand, du français, et accessoirement un peu d’anglais !

            Le Blu-ray de Blood & Flesh fera partie d’un gigantesque coffret regroupant toute une série de films d’Al Adamson, tous restaurés. Nous n’avions sans doute jamais rendu un hommage de cette ampleur à un réalisateur. Distribution numérique prévue d’ici la fin de l’année pour cette collection Adamson. Sans parler du contingent de films restaurés que Severin va continuer de distribuer chaque mois. L’heure de la retraite n’a pas encore sonné !

Propos recueillis par FAL

(1) Bob Dix interprète dans le prégénérique de Vivre et laisser mourir le personnage de Hamilton (dont le nom n’est autre que celui du réalisateur…), autrement dit l’agent secret qui assiste à un enterrement qui se révèle être le sien (son cadavre est très vite escamoté dans un cercueil avec fond à fermeture automatique).

(2) David Gregory est l’un des principaux responsables de Severin-Films, société anglo-américaine indépendante centrant l’essentiel de ses activités autour de la production et de la distribution de Blu-rays, avec un intérêt tout particulier pour le cinéma européen des années soixante-dix.  

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